11 Femmes tuées en Belgique depuis le début de l’année, et maintenant on fait quoi ?
Le meurtre odieux de l’étudiante anversoise Julie Van Espen par un délinquant sexuel récidiviste force la Belgique, ses responsables politiques et tout le secteur de la Justice à réagir vite et sous le coup de l’émotion légitime que nous impose cette agression pourtant prévisible.
Si l’on ne peut éluder les questions des politiques criminelle et carcérale, le sous-financement de la Justice et ses conséquences – en ce compris les délais de fixation des affaires-, c’est bien la et les victimes de ces fémicides que le Conseil des femmes francophones de Belgique veut mettre au cœur des préoccupations et revendications.
Cette jeune femme a été tuée parce qu’elle était une femme, tout comme les 10 autres femmes tuées à ce jour en Belgique en 2019. Elles étaient 36 en 2018 et 39 en 2017. Le constat est donc accablant pour notre société et en contradiction avec les valeurs qu’elle promulgue.
Il faut que ça cesse !
L’éventail des actes de violence quotidienne envers les femmes – du harcèlement verbal aux agressions physiques et sexuelles – a beau être connu et condamné, rien ne change. Au bout de cette spirale de violence, nous restons impuissant.e.s face à sa forme extrême : le fémicide, c’est-à-dire le meurtre d’une femme, défini et reconnu par l’Organisation Mondiale de la Santé.[1]
Pour mettre fin à ces séries de meurtres de femmes, il faut commencer par reconnaître ce qu’ils sont et les appeler par leur nom. Or, à ce jour, ce crime spécifique n’est pas reconnu dans la législation belge; il n’est ni quantifié ni étudié. Ce qui revient à fermer les yeux sur ce phénomène de société, toujours envisagé comme un « drame isolé », un « fait divers », ou pire un « couac qu’il faudrait accepter » comme l’indiquait hier le Conseil Supérieur de la Justice ! Non, ne l’acceptons et ne l’accepterons pas ! Le profil judiciaire de la personne ayant avoué le meurtre de Julie Van Espen illustre le continuum du contexte des violences envers les femmes qui précède souvent ce type de drame. Ici, une première condamnation en juin 2017, dont le meurtrier a fait appel, pour violences sexuelles envers son ex-compagne. Le tribunal n’avait toutefois pas jugé utile d’ordonner son arrestation immédiate, malgré le réquisitoire du ministère public. Steve B. attendait son deuxième procès les mains libres… Des mains qui ont tué Julie.
En Belgique, près de 4 plaintes pour viol sont enregistrées chaque jour dans les parquets correctionnels (chiffres de 2014). Mais ces chiffres ne reflètent pas la réalité. Il est très difficile d’estimer le nombre réel de viols commis en Belgique, ce que l’on nomme le « chiffre noir », c’est-à-dire les viols qui ne sont pas dénoncés à la police. À Bruxelles par exemple, dans la zone de police de Bruxelles-Ixelles, à peine une victime sur 6 se rendrait au commissariat pour déposer plainte. Nous baignons dans une culture de violence qui légitime peu ou prou une domination sur les femmes, sur leur corps et leur sexualité.
En conclusion, l’arsenal législatif et judiciaire ne suffit pas. Si les réponses judiciaires existent, elles sont imparfaites et ce sont les femmes qui sont mises en danger.
Il faut le dire et le crier sur tous les toits : en 40 ans de lutte contre les violences faites aux femmes, la situation ne s’améliore pas!
Conformément à son mémorandum le Conseil des femmes francophones de Belgique réclame, de l’entrée à la sortie du parcours judiciaire et périjudiciaire, que l’ensemble du corps médical, du personnel psycho-médico-social et des maisons de Justice ainsi que les avocats, juges, procureurs, agents de police et gardiens de la paix soient formés de manière continue à ce fléau généralisé : les actes de violence envers les femmes.
En parallèle, des moyens humains et financiers doivent être mobilisés et prévus dans les budgets afin d’assurer de manière efficace et durable le suivi des délinquants sexuels, pour évaluer correctement le risque qu’ils représentent pour la société et éviter tant que faire se peut la récidive.
[1] https://www.who.int/reproductivehealth/publications/violence/rhr12_38/fr/