Balance ton folklore, Balance ton unif : Pour une vie étudiante en sécurité

30 avril 2021

Depuis quelques mois, mais particulièrement depuis le mois de mars dernier, dans de nombreuses hautes écoles et universités belges, la colère gronde : des centaines d’agressions sont dénoncées et les revendications féministes se font entendre de plus en plus fermement. « La parole se libère », comme on entend souvent dans les médias, mais elle est surtout davantage écoutée, relayée et partagée. Sur les campus désertés en ces temps de pandémie, des affiches aux messages sans équivoque sont collées par des groupes féministes. Sur les réseaux sociaux, des mouvements s’organisent pour témoigner et lutter contre ces violences.

Le 21 mars, des étudiantes de l’ULB ont publié leur manifeste et lancent les hashtags #BalanceTonBro #BalanceTonComitard #BalanceTonCobleu #FolkloreComplice[1].

Celles-ci dénoncent les « incidents » récurrents dans le monde du folklore estudiantin ; les viols en rentrant de soirée, les abus dans les cercles, les harcèlements sur le campus. Elles sont fatiguées que la parole des victimes soit discréditée, leurs agresseurs tolérés, pardonnés et que leur comportement soit parfois justifié.

Toute une série de pratiques, inhérentes au monde de la guindaille, sont décriées ; le phénomène de boys band concernant les ordres en non-mixité masculine, la « romantisation de l’effet-toge » ou encore la « pseudo-justice interne au monde folklorique, qui étouffe la gravité des faits ».

Autre exemple : à Louvain-La-Neuve, depuis plusieurs mois déjà, le collectif « La Meute » colle des slogans sur les murs de la Ville, les bâtiments de l’UCL et relaie des témoignages d’agressions :

« Quand je sors je veux être libre, pas courageux.se »

« Stop aux violeurs dans le supérieur »

« L’UCL protège les violeurs »

« Violences sexistes, UCL complice »

« Vous diplômez des violeurs »

« Des violeurs dans nos auditoires »

« La révolution sera inclusive »

« La révolution sera féministe et anti-raciste »

« On te croit »

Un peu partout donc, des initiatives étudiantes émergent, des plateformes sont mises en place pour permettre à celles et ceux qui le souhaitent de témoigner et d’être écouté.e.s[2].

(Voir notamment les comptes Instagram : lameute_lln[3], balancetonagro.gbx[4], harchi_ulb[5], balance.ton.folklore[6], placardtarage ou le google form mis en place par le Cercle Saint-Louis[7] )

Les établissements, les kots à projet, les cercles, les autorités, sont interpellé.e.s. Sommé.e.s de réagir, d’agir. Pourtant de nombreuses réactions sont hostiles ou inadaptées ; au niveau des universités et des hautes-écoles, mais aussi du monde de la guindaille ; affiches arrachées, désolidarisation du mouvement, lancement de campagne de sensibilisation dans des termes maladroits et inappropriés[8].

Des voix s’élèvent pour une remise en question globale ; la réécriture de certains chants estudiantins et la suppression des plus misogynes, racistes et/ou offensants, l’adaptation de certaines activités lors de la bleusaille, la fin de la banalisation des violences non seulement institutionnalisées, mais surtout revendiquées, sciemment transmises et perpétuées.

Au sein de nombreux cercles, des anciens hurlent « qu’on ne peut plus rien dire » et appellent à la sacro-sainte autodérision. Des anciennes traitent les plus jeunes de pleurnicheuses et affirment ne jamais avoir subi de sexisme durant leurs années d’études.

On voit fuser partout: « vous vous trompez de combat », « ce n’est pas ça le vrai féminisme », « vous êtes extrémistes et desservez votre cause »,  « un chant n’a jamais tué personne », « vous détruisez la tradition ». La fracture générationnelle est violente, les plus jeunes sont épuisé.e.s de faire de la pédagogie et font face à beaucoup de fermeture et de véhémence.

Le monde folklorique fait régulièrement l’objet de débats et de tentatives de régulation par les autorités académiques et politiques car ces derniers estiment que des dérives surviennent trop souvent. Il est cependant compréhensible de vouloir préserver, développer et perpétuer ce patrimoine folklorique, mal compris par beaucoup, mais qui tient une part importante dans la culture belge. Seuls ses aspects les plus négatifs sont aujourd’hui connus du grand public, tandis que le folklore comporte évidemment de nombreux autres aspects, plus positifs. Les guindailleurs les plus traditionalistes ne voient pas d’un bon œil les immixtions extérieures au milieu estudiantin, ou les limitations de liberté d’expression, et se sentent trahi.e.s de l’intérieur, par leurs pairs, par leurs successeur.euse.s.

Mais il faut néanmoins replacer le débat là où il se situe réellement : les étudiant.e.s ne veulent pas d’un folklore dénué de sens, de liberté, de symbole et de légèreté. La plupart souhaitent simplement guindailler sans entonner de chant faisant l’apologie du viol, sans qu’il y ait toujours un homme cisgenre qui parle plus fort et leur coupe la parole quand iels parlent en public, sans que leur consentement soit bafoué, sans se faire violer en rentrant de soirée et qu’on leur dise ensuite qu’il fallait être moins ivre et « dire non plus fermement ».

Ce que ces étudiant.e.s demandent, c’est la moindre des choses. Ce n’est rien de très subversif. Et le fait que cela apparaisse comme tel en dit beaucoup sur le chemin qu’il reste à parcourir.

Ce que veulent les étudiant.e.s, c’est évoluer et s’épanouir dans des campus sûrs, où la prévention est omniprésente et où iels pourraient espérer assister à une véritable évolution.

Si les agressions, abus, violences physiques et verbales devaient encore perdurer pour une partie, les étudiant.e.s qui les subissent veulent être cru.e.s, écouté.e.s.

Iels veulent que les professeur.e.s, assistant.e.s et étudiant.e.s qui ont fauté soient écarté.e.s, pour que cela ne se reproduise pas inlassablement, comme c’est le cas aujourd’hui.

Que leurs facultés, camarades et cercles cessent de protéger, étouffer, justifier, minimiser face à des « potes », « cokotteurs », « confrères », « collègues », qui ont commis des actes minimes à l’échelle de leurs vies, mais qui sont bouleversants, violents et destructeurs du point de vue de leurs victimes.

Alors concrètement, tandis que peu à peu les écoles et universités ainsi que leurs membres commencent à conscientiser le problème et à tenter d’y répondre, voici un recensement non exhaustif de quelques pistes et clefs pour cheminer vers un début de solution:

  • Croire les victimes
  • Arrêter de protéger les personnes qui agressent
  • S’instruire, se former, déconstruire les dynamiques de genre et de domination et écouter les personnes concernées
  • Collaborer avec des services et associations compétents lorsqu’on n’est pas suffisamment apte à traiter du problème
  • Cesser de culpabiliser les personnes qui ont été agressées/violées
  • Mettre en place des groupes de travail avec des professionnel.le.s, afin d’aider les différentes associations étudiantes et des personnes concernées
  • Mettre en place des enquêtes permettant de recenser les agressions sexuelles sur les campus, sur les lieux de stage et en Erasmus. Analyser les résultats et prendre les mesures nécessaires
  • Mettre en place et rendre transparente une procédure prévue par l’Université ou la Haute-Ecole en cas d’agression sexuelle ou sexiste par un membre de la communauté étudiante ou académique
  • Communiquer davantage et mettre en place des campagnes de prévention efficaces et bien construites, par des professionnel.le.s, à destination des étudiant.e.s et du corps académique
  • Mettre en place des formations obligatoires pour l’ensemble de la communauté étudiante (conférences obligatoires dès la BA1), pour les délégué·es au sein des associations étudiantes et des cercles, pour les comitard.e.s, pour le personnel de sécurité des campus
  • Désigner des personnes responsables, sobres et formées lors des soirées étudiantes, mettant en place les besoins urgents pour les victimes (présence, soutien et relai)
  • Mettre en place des ateliers de discussions et de réécriture des chants misogynes, racistes et discriminants
  • Mener une réflexion au sein de tous les cercles concernant les activités de bleusaille et supprimer/modifier celles qui sont sexistes

Les chiffres apportés notamment par la récente campagne Amnesty sur le viol en Belgique sont sans équivoque[9] ; 33% des jeunes pensent que la violence à l’égard des femmes n’est pas forcément un délit ; 1 homme cisgenre sur 2 estime qu’une victime peut être en partie responsable de son agression ; 91% des jeunes de 12 à 21 ans qui ont eu une relation amoureuse ont déjà été victimes d’actes de violence entre partenaires. Le milieu universitaire est un microcosme et la guindaille encore davantage ; il n’y a pas de raison que ceux-ci soient épargnés des mêmes rapports de force et dysfonctionnements que connait le reste de la société.

Néanmoins, une chose est sure ; le Metoo estudiantin est bel et bien enclenché et nul doute que le vent féministe qui souffle désormais sur les campus belges n’est pas près de s’arrêter.

Clémence Merveille Penna

Commission Jeunes du CFFB


Lexique :

  • Iel(s) : Pronom de la troisième personne, permettant de désigner les personnes, sans distinction de genre.
  • Guindaille : belgicisme qui est utilisé pour désigner l’ensemble des activités folkloriques et festives estudiantines
  • Bleu/bleuette : nouvel.le étudiant.e passant (volontairement) par le rite initiatique du baptême
  • Comitard.e : Dans le folklore étudiant, un.e comitard.e est un.e membre élu.e ou coopté.e d’un comité de baptême estudiantin ou de cercle facultaire. Les comitard.e.s sont la plupart du temps reconnaissables car iels portent une toge.
  • L’effet-toge : charisme qui émane d’une personne portant la toge de comitard. Celui-ci est lié au côté « uniforme » du vêtement, du personnage que les comitard.e.s de baptême arborent tout au long de la bleusaille, mais aussi du rapport de domination/autorité qui existe entre les membres du comité et les bleus.
  • Cisgenre : se dit d’un individu dont l’identité de genre vécue correspond au genre assigné à la naissance.

Annexe : manifeste des étudiantes de l’ULB reproduit entièrement « #BalanceTonBro #BalanceTonComitard #BalanceTonCobleu #FolkloreComplice. »

« Lundi 8 mars, suite à des collages sur l’ULB, le monde du folklore est une fois encore au coeur de débats animés. Les débats constructifs sont malheureusement minoritaires. La majorité des réactions sont déplacées, inappropriées et contre-productives.

Les témoins devraient s’insurger, les concernés devraient s’excuser et la boucler, les autorités devraient se bouger et sanctionner.

Aujourd’hui, nous nous allions pour exprimer notre colère. Nous en avons assez de ces « incidents », nous en avons marre d’être violées en rentrant de TD, abusées dans nos cercles, harcelées avenue Paul Heger, et nous sommes fatiguées que notre parole soit discréditée. Nous ne voulons plus que nos agresseurs soient tolérés, pardonnés et parfois même justifiés.

Le moment est venu d’accuser.

Nous accusons qu’une notion basique comme le consentement ne soit toujours pas acquise dans le monde universitaire.

Nous accusons celleux qui redirigent systématiquement le débat sur la forme au détriment du fond, et cela même lorsque des sœurs trouvent le courage de dénoncer.

Nous accusons la sacralisation du profil du violeur. Non ce dernier ne nous attend pas forcément dans une ruelle mal éclairée. Ils sont aussi dans nos cercles, à nos soirées, dans notre cercle d’ami, on les appelle parfois « bro », mon frère et peut-être que c’est même toi. Il est temps que les violeurs se reconnaissent et se responsabilisent.

Nous accusons la romantisation de « l’effet toge ».

Nous accusons les « NotAllMen » et les MenTears à répétitions dans les « débats » NOUS concernant.

Nous accusons, les hommes qui ne différencient pas une accusation individuelle de l’accusation d’un système oppressif, de structures intrinsèquement sexistes.

Nous accusons les mecs qui se disent « alliés » mais qui défendent leurs potes quand ces derniers sont accusés d’actes sexistes, d’agressions, d’harcèlement, de viol et ce, sans jamais remettre en question.

Nous accusons les mecs qui pensent que participer à la culture du viol c’est moins grave que d’être un violeur.

Nous accusons, cette pseudo-justice interne au monde folklorique, qui étouffe la gravité des faits, et qui est clairement inégale (on ne règle pas une affaire de viol en détogeant quelqu’un, on ne punit pas un agresseur en lui rasant les cheveux, on est pas au moyen- âge).

Nous accusons les pratiques misogynes légitimées par le folklore et la tradition.

Nous accusons, la hiérarchie genrée au sein des cercles.

Nous accusons le phénomène de boys band des ordres en non-mixité masculine qui constituent un réel danger.

Cessez de défendre vos potes violeurs, cessez de délégitimer les sœurs qui dénoncent, STOP AU FOLKLORE COMPLICE»


[1] Reproduit au complet en fin d’article.

[2] Les violences sexuelles au sein du folklore touchent majoritairement les femmes cisgenres, mais pour des raisons d’inclusivité nous souhaitons également englober toute personne qui se sentirait touchée et concernée.

[3] https://www.instagram.com/lameute_lln/

[4] https://www.instagram.com/balancetonagro.gbx/

[5] https://www.instagram.com/harchi_ulb/

[6] https://www.instagram.com/balance.ton.folklore/

[7]https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSe4b77Z1nQP2NJsY45nZ7ULCM1A2Ldd6tulTx9SeMxXmJmVGw/viewform

[8] A titre d’exemple : https://www.facebook.com/ulbruxelles/posts/3866122410090704

[9] https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/stop-violences-sexuelles ; http://www.directionrecherche.cfwb.be/index.php?id=10756 ;