La lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes aux murs de la prison

24/11/2020

Que se passe-t-il dans nos prisons ?

Le parc carcéral belge compte actuellement 36 établissements et fait l’objet de nombreuses critiques depuis plusieurs années. Les condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme n’ont fait que mettre en lumière un problème déjà bien installé. La surpopulation carcérale et les conséquences de celle-ci (conditions de détention désastreuses, manque de place aux activités, etc) restent le quotidien de plus de 10.825 détenu.e.s et de nombreux travailleu.r.se.s. Cette surpopulation carcérale est endémique et structurelle, mais surtout inhumaine. Il faut savoir que le taux d’incarcération en Belgique s’élève en moyenne à 9,6% et est sensiblement plus élevé que chez nos voisins. À cela s’ajoute, la médiocrité des soins de santé (sur ou sous-médication, lenteur dans la prise en charge des pathologies nécessitant l’intervention d’un.e spécialiste comme un.e dentiste pour un abcès dentaire) alors que l’on sait que la population carcérale est plus fragile que le reste de la population. On connait aussi les difficultés de « réinsertion », la stigmatisation des détenu.e.s et ex-détenu.e.s, un taux de récidive qui s’élève aujourd’hui en moyenne à 55%[1], etc. Le tableau est triste à voir et pose, plus largement la question de l’objectif de la prison.

Une invisibilisation genrée

En mars dernier, les prisons belges accueillaient quelque 10 825 détenus, dont 490 femmes[2] réparties dans 10 des 36 établissements pénitentiaires belges dont un seul est accueille[3]. Un seul de ces établissements accueille uniquement des femmes, les autres disposent d’ailes ou de sections qui leur sont réservées. Ces femmes représentent en moyenne entre 4 et 5% des personnes détenues. Alors que l’intégration de la dimension de genre dans les politiques publiques fait de plus en plus l’objet de réflexions au sein des institutions, qu’en est-il de cette approche dans le système carcéral ? La prise en charge des détenues se fait-elle dans un processus égalitaire et respectueux de leurs spécificités ?

Comme l’affirme la sociologue Coline Cardi : « partir de la marge, que représentent les femmes incarcérées est un moyen d’interroger le centre et de saisir en quoi, s’il faut penser la prison en lien avec l’ordre social, il faut également et conjointement la penser en lien avec l’ordre sexué et les normes qui lui sont liées »[4].

Vingt ans après les premières études de sociologie carcérale, les recherches sur les femmes détenues sont encore trop peu nombreuses, elles sont principalement anglophones et se centrent surtout sur des aspects tels que leurs liens familiaux ou leur sexualité[5]. Cette lacune peut s’expliquer par la faible proportion de la population féminine en prison. Mais, comme le souligne la sociologue Corinne Rostaing[6], ce n’est pas l’unique raison. Elle pointe ainsi trois processus contribuant à la méconnaissance, et donc à l’invisibilisation des femmes en milieu carcéral : la « non-distinction », entendue comme la négation des différences sous couvert de l’application d’un principe d’égalité  ; la « légitimité androcentrée des recherches sur les détenus », qui représentent la majorité et sont donc un point de référence prétendument « neutre » ; et enfin « la valorisation de la différence », comprenant le risque d’essentialisation, voire de gynocentrisme.

Une nécessaire différenciation

S’il paraît presque « naturel » de séparer les hommes et les femmes en prison, cette séparation est toutefois devenue un phénomène rare à l’échelle des autres institutions. Olivia Nederlandt, chercheuse à l’Université Saint-Louis, note que la division associée au statut de minorité des femmes en prison « entraîne de multiples discriminations à leur égard ». Si elle s’est établie suivant une logique de sécurisation des femmes par rapport aux hommes, leurs besoins spécifiques sont en revanche peu pris en compte, alors même qu’elles font l’objet de « vulnérabilités et de besoins de base particuliers » qui diffèrent de ceux des hommes[7], par exemple en matière de liens sociaux, de réinsertion ou encore de soins de santé ou d’hygiène.

À l’instar des hommes, le maintien du lien social et familial est un enjeu important pour le devenir de toutes les détenues. Néanmoins, Gwenola Ricordeau[8], professeure en justice criminelle, attire notre attention sur le vécu différencié des femmes incarcérées. Elle fait notamment remarquer que le nombre limité de lieux de détention et leur manque de diversité (pas de prison ouverte, ni de maison de transition) conduisent à un éloignement plus marqué de leur lieu de vie et par conséquent de leurs proches. De plus, elles se retrouvent plus souvent seules face à la détention, car à leur entrée en prison, elles sont plus fréquemment abandonnées par leur partenaire que l’inverse et les complications liées à leur libération sont renforcées par une stigmatisation accrue de leur passé judiciaire. Leurs liens sociaux sont donc plus fragiles que ceux des hommes, et leur soutien social moins grand en prison et à leur sortie. Il semblerait également que les détenues de Berkendael soient en grande majorité des étrangères, ce qui renforce encore l’isolement et la solitude déjà imposés par l’incarcération.

Un travail stéréotypé et peu professionnalisant

Rappelons que le droit au travail est consacré pour tout un chacun dans la Constitution belge. L’univers carcéral ne fait pas exception, le chapitre VI de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus définissent le droit au travail au sein des prisons. Celui-ci fait partie intégrante du processus de « réinsertion » des détenu.e.s, aussi bien sous l’angle économique que social et comme le rappelle également le SPF justice, celui-ci «  joue un rôle important dans la préparation du retour dans la société ». Tant pour les femmes que pour les hommes, il contribue à leur donner une forme de dignité ainsi qu’une structuration du temps proche de la vie hors des murs. Le manque de places aux activités rémunérées ou non et aux formations est un constat général qui est posé dans les prisons pour femmes et pour hommes. Toutefois, là encore, de nombreuses études attestent un accès différencié au travail et à la professionnalisation dans les lieux de détention. Les Femmes prévoyantes socialistes ont par exemple montré qu’au sein de la prison pour femmes de Berkendael, le travail se limite à de petits travaux manuels ainsi qu’à de la gestion de l’intendance, alors que les hommes ont généralement accès à des tâches plus professionnalisantes, comme la menuiserie ou l’électricité. Cette étude ne représente pas l’accès au travail dans l’ensemble des prisons belges, mais attire néanmoins l’attention sur le risque d’une offre reproduisant des stéréotypes genrés.

Ajoutons à cela que, comme dans la société civile, les femmes incarcérées avec un enfant sont confrontées à la précarisation professionnelle, étant donné le manque de crèches internes et les difficultés de prise en charge par des milieux d’accueil externes. Des collaborations existent entre certaines prisons et des crèches extérieures comme à Berkendael. Leur réhabilitation repose alors essentiellement sur le rôle éducatif de mère au détriment de formations qualifiantes[9].

Alors que le Comité européen pour la prévention de la torture recommande la mise en place en prison d’un programme d’activités qui mette les femmes et les hommes sur un pied d’égalité, la réalité est donc tout autre et reste empreinte de stéréotypes de genre. Le manque d’offres de travail dans les prisons belges, renforcé dans les prisons pour femmes par le manque de diversité des formations, peu professionnalisantes et reproduisant des clichés patriarcaux : ce sont autant de facteurs qui réduisent de façon significative les possibilités de réinsertion des femmes dans la société.

Des soins de santé peu adaptés

La question des soins de santé et la qualité de ceux-ci en prison, ont déjà fait l’objet de nombreuses interpellations par les associations de terrain. Inutile de rappeler que les personnes privées de liberté doivent pouvoir bénéficier d’un niveau équivalent de soins à ceux existants à l’extérieur des prisons.

D’un point de vue plus intime, les femmes incarcérées ont des besoins spécifiques, notamment en matière d’hygiène. Toutefois, ces besoins ne semblent malheureusement pas toujours être une évidence en prison, entre autres lors des menstruations où certains accès à un matériel de base (produits hygiéniques, eau, poubelle, etc.) ne sont pas toujours garantis. Les serviettes périodiques ne sont par ailleurs que très rarement gratuites, les détenues doivent donc cantiner et acheter ces dispositifs périodiques au sein même de la prison, où le prix de vente public peut parfois tripler. Depuis 2019, une collaboration entre les asbl I.Care[10] et Bruzelle permet de livrer tous les mois aux détenues le nécessaire pour une période de menstruation. D’autres éléments sanitaires, comme les questions de suivi gynécologique ou de prise en charge des syndromes post-traumatiques (sachant qu’il y a une surreprésentation parmi les détenues de victimes de violences intrafamiliales, sexuelles ou les deux à la fois), semblent également négligés.

De plus, se posent des questions liées à la surveillance d’une grossesse. En janvier 2020, on dénombrait quinze bébés vivant en prison et on estime à huit le nombre moyen de naissances par an dans les prisons belges[11]. Si des établissements comme Bruges, Lantin ou Berkendael sont équipés de cellules plus « adaptées » et que certaines associations fournissent une aide non négligeable, Maud Lempereur[12], étudiante en droit à l’Université libre de Bruxelles, signale que la prise en charge des femmes enceintes ou avec enfant reste questionnable et fait l’objet de nombreux abus partout dans le monde tel qu’une attente de seize semaines pour un accès à une échographie peut prendre plus de seize semaines, certaines femmes enceintes partagent leur cellule avec des fumeuses, le suivi post-natal peut également tarder pendant plusieurs semaines, des moyens de contrainte comme les menottes sont parfois encore utilisés lors de l’accouchement[13], etc.

Le règlement général des établissements pénitentiaires détaille les dispositions concernant l’accouchement et le séjour des enfants de 0 à 3 ans auprès de leur mère. Si elle le souhaite ou s’il n’y a personne d’autre pour s’occuper de lui, le bébé peut rester avec elle dans une cellule adaptée jusqu’à l’âge de 3 ans. Notons que c’est le seul régime spécifique qui implique une différence de traitement selon le sexe de la personne incarcérée. Ce régime, comme le rappelle Maud Lempereur[14], ne vise à assurer qu’un bien-être minimal des mères et des enfants et n’est pas toujours respecté et varie en fonction des établissements.

De nombreuses études analysent de façon critique cette possibilité tant en ce qui concerne son effet sur l’enfant qui vivra en prison que sur l’impossibilité pour les pères de vivre avec lui. Ces recherches démontrent par exemple l’impact et l’importance que peut constituer un attachement de qualité pour la mère et son enfant, l’influence de ce séjour sur l’enfant et sur son développement social, cognitif et moteur, et attirent l’attention sur la prévalence des placements des enfants de mères incarcérées (34 %) par rapport aux enfants de pères incarcérés (12 %)[15].

Plusieurs solutions sont en outre proposées par le milieu associatif[16], comme la construction de maisons mère-enfant, qui existent déjà aux Pays-Bas et en Finlande. Ce projet nécessite évidemment de prévoir un budget, ce qui n’est pas le cas pour l’instant, alors que plusieurs millions sont débloqués par l’État belge pour la construction d’une maxi-prison à Haren. On peut alors se demander s’il s’agit d’une réelle question financière ou d’un manque de volonté politique. Une autre solution serait d’aborder la réflexion sur les peines alternatives – au programme de l’accord gouvernemental 2020 – par le prisme du genre et donc de l’envisager pour des détenues enceintes ou avec des enfants en bas âge.

Pour conclure, libre ou incarcéré, personne ne devrait faire l’objet de discriminations en raison de son genre. Le monde carcéral n’est pas imperméable aux stéréotypes et aux injonctions genrées à l’œuvre dans notre société patriarcale, en témoignent les exemples d’accès aux soins de santé, au travail ou encore aux relations sociales. Il faudra, pour arriver à une égalité réelle et effective, de la volonté et la prise de mesures en cohérence avec les changements des mentalités à l’intérieur des murs comme à l’extérieur.

Les inégalités sociales, raciales, mais également de genre ne s’arrêtent pas aux portes des prisons.

Justine Bolssens

Commission Jeunes CFFB


[1]P. DERMINE et al., « Nos prisons, un danger pour chacun de nous », Groupe du Vendredi, 2018

[2]

[3] Avec la pandémie, ce nombre a temporairement diminué : L.WAUTERS, « Mesures liées au confinement : les prisons belges comptent 1 610 détenus en moins », mis en ligne sur www.lesoir.be, 5 mai 2020.

[4] C.CARDI, Le contrôle social réserve aux femmes : entre prison, justice et travail social, dans déviance et société, 2007/01, p.3.

[5] O. NEDERLANDT dans Code commenté. Droits des femmes, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 377.

[6] Corinne Rostaing, « L’invisibilisation des femmes dans les recherches sur la prison », dans Cahiers de Framespa, no 25, 2017.

[7] Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, fiche thématique « Les Femmes en prison », 2018.

[8] Gwenola RicordeauI, Pour elles toutes. Femmes contre la prison, Montréal, Lux, 2019, pp. 89-116.

[9] FPS, Le Travail des femmes privées de liberté – État des lieux, juillet 2014.

[10] Bienvenue | I.Careasbl (i-careasbl.be)

[11] « En Belgique, 15 enfants vivent actuellement en cellule avec leur mère », mis en ligne sur www.sudinfo.be , 13 janvier 2020.

[12] Maud Lempereur, Droits de la mère détenue accompagnée de son enfant en prison, mémoire, ULB, 2020.

[13] Cour eur.D.H., Korneykova et Korreykov c. Ukraine, req. n°56660/12, 24 mars 2016.

[14] Maud Lempereur, op.cit.

[15] Coordination des ONG pour les droits de l’enfant, « Une maternité derrière les barreaux », 2012 et pour plus d’informations, consultez le rapport 2019 de l’asbl Relais Enfant Parents : http://www.relaisenfantsparents.be/sites/default/files/2020-04/RA%202019.pdf

[16] Maud Lempereur, op.cit.