Le clitoris, un organe à (re)découvrir

« On a voulu nous faire croire que les femmes étaient frigides, prudes, chastes. C’est seulement parce qu’on voulait les forcer à jouir droit, selon le modèle masculin, dans les limites masculines, en terme de conquête, de possession. En réalité, elles éclatent leur corps entier est désir… leur jouissance est si violente, si « transgressante » si ouverte, si mortelle que les hommes n’en sont pas encore revenus… »

 Xavière Gauthier.

02/03/2021

Entre ignorance, déni et redécouverte, le clitoris revient depuis quelques années sur le devant de la scène. Si aujourd’hui le tabou se lève progressivement à propos de cet organe dédié au plaisir féminin, nous constatons avec regret que certains reliquats subsistent de cette longue période d’omerta. Ainsi la fausse croyance entre « orgasme clitoridien » et « orgasme vaginal »[1] ou encore une méconnaissance de l’anatomie féminine illustrent les traces de cette période sombre.

En 2016, une étude française[2], nous révèle qu’« un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles ont un clitoris, tandis que 68 % des garçons de 4e et de 3e (de niveau secondaire en Belgique) ignorent la fonction de cet organe. Il se trouve aussi que 18 % des garçons de 15-24 ans pensent que mater un porno est un bon moyen d’apprendre à faire l’amour (contre seulement 4 % des filles) ».[3]

À travers cet article dédié au clitoris et au plaisir féminin, nous tenterons de vous livrer les mystères sur cet organe encore fort méconnu actuellement, mais également de faire la lumière sur les enjeux qui se cachent derrière cette méconnaissance et oppression du plaisir féminin.

Entre lumière et omerta, clitoris, qui es-tu ?

Dès l’Antiquité, Hippocrate, puis Gallien, diffuse la théorie des humeurs qui aura une incidence jusqu’au XIXe siècle.

Selon les deux théoriciens, l’homme et la femme doivent connaître un orgasme pour que la fécondation soit un succès. À partir du XVIIIe siècle, après s’être intéressés de près à la reproduction, les théoriciens de l’époque s’aperçoivent que le clitoris n’a aucun rôle à jouer lors de la fécondation. Tel un couperet tombé, le clitoris disparait petit à petit des planches anatomiques et tombe aux oubliettes.[4]

Plus tard, à la Renaissance, l’étude du corps par la dissection connait un essor considérable en Occident. Si les femmes n’ont pas dû attendre les anatomistes pour la découverte de leur clitoris, nous pouvons citer le scientifique Realdo Colombo, très influant à l’époque. Monsieur Colombo s’est autoproclamé pionnier de la découverte complète du clitoris. Il qualifia même le clitoris de «siège du plaisir de la femme ».

Jusqu’en 1880, le clitoris connait des beaux jours, car, sous l’influence de la théorie des humeurs, l’Église recommande l’usage du clitoris. Selon la théorie des humeurs d’Hippocrate, les médecins avaient pour croyance que lors de l’orgasme, la femme délivrait une semence propice à fécondation. Or, lorsqu’on découvre le processus de l’ovulation, les scientifiques comprennent que le clitoris n’a aucune fonction procréative. L’engrenage du bannissement du clitoris est amorcé :

« C’est le fondement du mouvement nataliste qui bannit toutes les méthodes qui peuvent empêcher la reproduction. Idéologie encore très présente chez les protestants aux États-Unis de même que chez les catholiques »[5].

Parallèlement à ces découvertes, le courant « onanisme » se diffuse au XVIIIè siècle. Celui-ci fait référence à un personnage biblique nommé Onan, coupable de masturbation selon l’Église. Samuel Tissot, praticien suisse, rend la masturbation féminine la responsable de multiples maux : elle rendrait sourde, épileptique ou encore hystérique.

En conséquence à ces découvertes, le clitoris sera malmené. Nombreux étaient à l’époque les hommes, dont les plus illustres sont les Dr Kellog et le Dr Brown, à vouloir se débarrasser du clitoris en le mutilant. Sous couvert de traitement de la folie, épilepsie, catalepsie, lascivité, hystérie et autres maux féminins, cette opération était régulièrement pratiquée.[6]

Cette période sombre s’écoule pendant plus d’un siècle jusqu’aux découvertes d’une urologue Australienne. En 1980, en consultant des livres d’anatomie, le Dr Helen O’Connel s’aperçoit que le puzzle anatomique n’est pas complet. Après avoir réalisé plusieurs dissections de cadavre de femme, en 1998, elle redécouvre l’anatomie complète du clitoris.[7]

Une décennie après les découvertes du Dr O’Connel, la gynécologue- obstétricienne française Odile Buisson, à l’aide de la technologie de l’imagerie médicale, réalise que le clitoris est « un vaste organe constitué d’une double arche, dont le sommet enserre le vagin ». En 2010, elle mène une recherche originale : l’échographie d’un couple au moment du coït, qui met en évidence la stimulation de la partie interne du clitoris pendant la pénétration vaginale.

Où es-tu ?

Anatomie du clitoris

Contrairement à la pensée de l’imaginaire collectif, le clitoris n’est pas constitué que du petit bouton visible à l’extérieur ( = gland du clitoris). Ce que nous visualisons n’est en réalité que la partie visible de l’iceberg…

Comme le schéma[8] ci-dessus le représente, le clitoris est constitué d’une partie visible en externe, mais également d’une grande partie en interne (bulbe et pilier du clitoris).

Faisons un zoom sur cet organe érectile mesurant en moyenne de 11 à 13 cm :

  • Le gland du clitoris, ou le bouton, est la seule partie partiellement visible de cet organe. Son aspect ainsi que sa taille peuvent varier d’une femme à l’autre. Il existe autant de variétés que de femmes, car nous sommes toutes uniques. On peut toutefois estimer que la taille oscille entre 0,5 et 1 cm.
  • Le capuchon ou prépuce du clitoris , un petit repli cutané, peut parfois complètement couvrir et cacher le gland du clitoris.
  • Les corps caverneux, ou les deux piliers du clitoris, sont deux arches qui peuvent mesurer jusqu’à 12 à 15 cm ! Ils ont la propriété d’être “érectiles” cela veut dire que sous l’effet de l’excitation sexuelle ils se gorgent de sang tout en se durcissant.
  • Le bulbe du clitoris ou corps spongieux est formé par la jonction des deux piliers qui entourent le vagin.

Saviez-vous que… ?[9]

Le clitoris est le seul organe du corps humain de la femme qui est sert la fonction du  plaisir!

Le clitoris est un organe érectile tout comme le pénis, mais en ayant la particularité d’être plus sensible. Il peut contenir jusqu’à 8000 terminaisons nerveuses ce qui explique sa sensibilité et le rend siège du plaisir féminin. Contrairement au clitoris, le pénis, se partage trois fonctions ( plaisir, reproduction et miction) et possède un réseau nerveux moins riche (entre 4000 à 6000 terminaisons nerveuses pour le gland du pénis !). Autre particularité du clitoris, sa stimulation peut être mixte.

Ce que l’on croyait être un orgasme vaginal est en fait dû à la stimulation des parties internes du clitoris donc un orgasme tout court. Toutefois, une nuance pourrait s’ajouter à la dénomination.  En effet, compte tenu de l’anatomie interne et externe du clitoris, nous pourrions envisager d’évoquer le terme «  clitoridienne interne » et/ou « clitoridienne externe » en fonction de la partie stimulée du clitoris.[10]

Orgasme-toi !

Au début du XXème siècle, le psychanalyste Freud théorise divers aspects de la sexualité humaine, dont celle du plaisir féminin. Selon lui, il existe deux types d’orgasmes. L’un clitoridien et l’autre vaginal. L’orgasme clitoridien est un orgasme de type immature, car il correspond au plaisir que connaissent les fillettes. Lorsque la jeune fille devient femme, son orgasme clitoridien est amené à disparaître, car la zone orgasmique de l’adulte migre vers le vagin. La femme passe donc d’un orgasme immature à un orgasme mature. Ainsi, lors des rapports sexuels  de type pénétrant, sous l’impulsion des mouvements du pénis, l’orgasme vaginal serait accessible à la femme.

Mais alors, que penser de toutes ces femmes qui ne rencontreraient pas une telle expérience orgasmique ? Que peut-on dire d’elles ? Quelles solutions sont envisagées pour répondre de ce problème ? La seule certitude que nous avons à ce sujet tient dans le fait que compte tenu du caractère pénétrant du rapport sexuel, les aptitudes sexuelles ou anatomiques de l’homme ne seront remises en question. Par conséquent, l’origine de l’absence de plaisir tiendrait dans le seul chef de la femme. C’est la femme qui ne sait pas activer son plaisir, son orgasme vaginal. C’est donc elle seule qui est tenue pour entière et responsable de cet échec sexuel.

On dira tantôt d’elles qu’elles sont « frigides », « hystérique », et autres maux et états décrits à l’époque. Ainsi, pendant de nombreuses années, Freud soignera ces « pauvres femmes hystériques » grâce à des séances de psychanalyse et autre thérapie. Si certains éloges ont été octroyés au Dr Freud par ces partisans, ceux-ci ne peuvent être considérés comme universel, car nombreuses ont été les femmes à qui cette étiquette de « frigide » leur a été octroyée injustement, nombreuses ont été celles qui ont souffert de cette fausse théorie sexiste et misogyne.

Dans nos sociétés, des reliquats persistent toujours à l’heure actuelle à propos de cette fausse conceptualisation binaire. Il faudra attendre les années 60 pour qu’une femme, Virginia Johnson et son partenaire de recherche, le gynécologue William Master s’intéresse de façon clinique et scientifique à la question de la sexualité humaine. Durant de nombreuses années, le couple de chercheurs mènera un nombre conséquent d’expériences sur les couples et finira par découvrir que le centre névralgique du plaisir féminin se situe au cœur du clitoris.

Signe de revendication du plaisir féminin et du féminisme

Alors qu’en mai 68 nos aînées se battaient pour l’épanouissement sexuel, il a fallu attendre 2017 pour que le clitoris soit représenté correctement dans un livre de classe français, soit plus de quatre siècles après sa première introduction dans les manuels de médecine latine par Bonaccioli.

Pourquoi si tard ? Pourquoi une telle invisibilisation ? En regard à l’histoire houleuse du clitoris, le plaisir sexuel est tabou dans nos sociétés. Soutenir cette omerta c’est laisser la place, à l’inconnu de son corps et à son fonctionnement. Par conséquent ; les femmes n’ont pas connaissance de la mécanique du plaisir et de leur désir. Plongées dans cette ignorance, la menace du déséquilibre entre les rapports hétérosexuels est maintenue à distance.

S’ajoute à cela le caractère multiple des sexualités des femmes. Leurs sexualités sont indépendantes de la fonction reproductive et ne sont pas forcément complémentaires aux sexualités des hommes :

« Le clitoris et les sexualités des femmes sont aussi des sujets de société : le fait qu’on les oublie, qu’on les nie, qu’on les enferme dans des normes ou qu’on les mutile a des conséquences importantes sur nos vies quotidiennes. Les sexualités des femmes ne sont pas en creux, passives ou anecdotiques : au contraire, elles enveloppent, enserrent, prennent, diffusent, vibrent, jaillissent et sont multiples…, pour notre plus grand plaisir ! »[11]

Évoquer le clitoris et le plaisir féminin, c’est reconnaitre qu’il s’agit d’enjeux fondamentaux dans la lutte pour l’égalité des femmes et des hommes. Dans le continuum de ces défis, le clitoris symbolise la réappropriation du corps, au sein de la sphère publique et politique.

« Clito-révolution »

Bien que face à l’énigme de la féminité il est reste encore beaucoup à faire, comme le rappelle Sophia Wallace lorsqu’elle évoque le clitoris :« Il est temps de célébrer cet obscur objet du plaisir. »

Le clitoris et le plaisir féminin ne sont pas qu’une affaire d’ordre privée ou de la sphère intime. Les enjeux qui se nichent au creux de cette thématique sont d’ordre politique.

Si nous voulons tendre vers une société égalitaire, où les femmes (plus de 50% de la population mondiale tout de même !) soient reconnues et respectées comme l’égal de l’homme, cette reconnaissance doit s’opérer à toutes les sphères et ce comptant la sphère intime.

Vouloir cacher ou mal représenter cet organe dans la sphère publique contribue à mettre de côté les femmes et leur émancipation.

Les luttes de nos aînées pour l’émancipation sexuelle ont été fondamentales pour la liberté des femmes. Aujourd’hui,  ces luttes se poursuivent. Nous exigeons que chacun.e.s puisse connaître son corps, s’approprie librement sa sexualité hors de normes préétablies.

Clarisse André Portela

Commission Jeunes du CFFB


[1] Poudat. FX, Lopès P. Manuel de sexologie, Editions Masson, 2013.

[2] SAUVET Annie, « État des lieux des connaissances, représentations et pratiques sexuelles des jeunes adolescents. Enquête auprès des

316 élèves de 4ème et 3ème d’un collège du Nord de Montpellier », Mémoire de DU Sexologie, Faculté de Médecine Montpellier-Nîmes, 2009,

p.20.

[3] FPS, De la découverte du plaisir féminin à l’émancipation de la femme, 2016.

[4] Strömquist L., L’origine du monde, Editions Rakham, 13 mai 2016.

[5] Picard, JC., (2018, 27 juin). Les éclipses du clitoris, France Culture. https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouvelles-de-leco/les-nouvelles-de-leco-du-mercredi-27-juin-2018

[6]  Strömquist Liv, L’origine du monde, Editions Rakham, 13 mai 2016.

[7] Strömquist Liv, L’origine du monde, Editions Rakham, 13 mai 2016.

[8] UNIGE (2019). Appareil génital femelle. Consulté le 10 février 2021 , sur https://www.unige.ch/ssi/files/2715/8530/7369/Facefr.pdf.

[9] Poudat. FX, Lopès P. Manuel de sexologie, Editions Masson, 2013.

[10] Pla J., Jouissance club- une cartographie du plaisir, Marabout, 2020.

[11] TCLCF. ( SD) . Osez le clito! Une campagne de nos consoeurs françaises pour démystifier les sexualités féminines. Consulté le 2 février 2021 , sur https://www.tclcf.qc.ca/2011/06/osez-le-clito-une-campagne-de-nos-consoeurs-françaises-pour-démystifier-les-sexualités-féminines.html.