L’homme le plus pauvre de Wallonie est TOUJOURS une femme
L’homme le plus pauvre de Wallonie est TOUJOURS une femme
Communiqué du conseil des femmes du 17 octobre 2018
Cette phrase-choc trouve son origine dans le constat alarmant dressé en 2010 par la Fédération des CPAS de Wallonie. En cette Journée Internationale pour l’élimination de la pauvreté, le Conseil des Femmes Francophones de Belgique veut une fois de plus réagir, car force est de constater que la situation économique des femmes s’est encore aggravée depuis.
Précarité et pauvreté : les femmes en ligne de mire
L’infériorisation des femmes sur le marché du travail – entre flexibilité accrue, inégalités salariales et temps partiels – a des conséquences négatives durables sur leur autonomisation financière et, bien entendu, en fin de parcours, sur le montant de leur pension.
Si l’on regarde les profils des personnes qui doivent recourir aux revenus de remplacement, qu’il s’agisse des allocations de chômage et d’invalidité ou de revenus d’intégration, les femmes sont surreprésentées et constituent donc un groupe à risques de précarisation. Il en va de même pour une catégorie aussi invisible qu’inadmissible dans un pays comme le nôtre, la case « inconnu » de la sécurité sociale. Là encore, parmi ces personnes sans ressources, le pourcentage de femmes est plus élevé. Enfin, ce n’est un secret pour personne, être parent isolé induit des coûts souvent peu supportables surtout en cas de faibles revenus. Là encore, ce sont les femmes qui, en Région bruxelloise, endossent pour 86,6% la responsabilité d’être chef de famille monoparentale. En quatre ans, de 2009 à 2013, le nombre de ces familles avec un seul parent a augmenté de près de 8%. Dans bien des cas, les allocations familiales représentent l’unique revenu garanti pour ces mères qui, pour beaucoup, lors du divorce ou de la séparation, sont obligées de se tourner vers le SECAL (Service des Créances Alimentaires) pour percevoir la pension alimentaire des enfants afin de pouvoir faire face aux dépenses. Les chiffres sont là : en 2012, 93% des bénéficiaires du SECAL étaient des femmes, dont 15% en Région bruxelloise.
Un phénomène inquiétant : le sans-abrisme au féminin
Si l’on voit de plus en plus de femme dans les rues, cela ne signifie pas forcément qu’elles sont proportionnellement plus nombreuses qu’avant, mais bien qu’il y a davantage de nos concitoyens et concitoyennes très pauvres et sans domicile. Entre 2008 et 2016, la STRADA [1] a dénombré un quasi doublement du sans-abrisme à Bruxelles. Cependant, outre qu’il n’y a pas de chiffres genrés de ce phénomène, tous les professionnels soulignent que beaucoup de femmes se cachent ou dissimulent leur féminité. Pas seulement pour ne pas être vues, mais aussi pour ne pas être repérées, identifiées comme femmes vulnérables et donc sujettes à toutes sortes de violences.
Savoir, c’est pouvoir
Des politiques volontaristes pour valoriser l’emploi des femmes ou leur remise au travail ainsi que la lutte contre les violences faites aux femmes sont donc urgentes et primordiales. Elles seront au cœur du mémorandum que le Conseil des Femmes défendra auprès des partis politiques en vue des prochaines élections.
Parce que la solidarité est plus que jamais nécessaire, le Conseil des Femmes et ses 60 associations veulent être au côté de TOUTES les femmes. Pour étayer nos revendications et formuler nos recommandations, nos commissions analysent et étudient tout au long de l’année les problématiques qui touchent les femmes.
Cette année, le thème de notre commission socioéconomique est précisément :
Précariat ou émergenced’une nouvelle classe sociale ? Une affaire de femmes ?
Si ce sujet vous intéresse et que vous désirez participer à la table ronde prévue au second semestre 2019, n’hésitez pas à nous contacter à info@cffb.be
Pour évoquer la pauvreté et la dignité des femmes, le CFFB vous propose de visionner en ligne l’exposition « La pauvreté des femmes à Bruxelles » réalisée en 2010 par le photographe Christophe Smets et la journaliste Céline Gautier. 25 portraits et témoignages forts de femmes vivant dans la pauvreté.
WENDY. La bise d’un passant
Qu’est-ce que vous attendez de la vie ? « La mort ! Pourquoi pas ? »
Wendy, 66 ans, reine des pince-sans-rire. Sur un muret de la Gare centrale, elle regarde passer les voyageurs. « Je fais la manche ici depuis 20 ans. Pour manger. Je touche mais tout part pour mon appartement, qui est insalubre. Ils savent, les gens... » Les gens savent mais ne regardent pas. Un jeune homme s’arrête pour lui faire la bise. « C’est mon amant. » Wendy ricane. L’amant imaginaire s’en va, tout sourire : « ma femme va être jalouse ». Un peu de légèreté, précieux cadeau de ce navetteur. « La vie est belle, non ? Moi, je la prends toujours du bon côté. Même que ça va pas. » Wendy a été mariée, a travaillé, a vu son mari mourir et s’est retrouvée à la rue avec deux enfants. Quelle est sa vie ? Mystère. « Tiens, ça, c’est un simple sac. Vieux, comme moi. Allez, prends ta photo, sinon, je mords. » Elle rit. « Et toi, laisse-moi un peu tranquille avec tes questions. »
FATIHA. Un ami qui lui veut du bien
« Le seul objet qui a de l’importance pour moi, c’est une carte postale que j’ai reçue de mon ami Michel. C’est un homme de 64 ans que j’ai rencontré une nuit, dans la rue. Je croyais qu’il voulait me violer mais il voulait juste savoir si tout allait bien. Depuis deux ans, il me soutient, moralement et financièrement. Qui peut croire que ça existe encore une telle gentillesse ? » Fatiha a fui ses parents, inquiets pour sa santé. « Le médecin parlait d’anorexie. Je ne voulais pas en entendre parler. J’ai préféré vivre dans la rue que d’aller dans un hôpital psychiatrique.
Maintenant, j’ouvre les yeux. C’est dur d’accepter qu’on a un problème. » Fatiha remonte la pente, rêve de retravailler un jour, d’avoir un appartement. Elle regarde le monde avec lenteur. « Avant, je ne voyais rien. Maintenant, je m’assieds une heure sur un banc et j’observe les arbres qui changent, les oiseaux qui chantent. La vie est magnifique.
On apprend beaucoup dans la rue. »
DOROTHEE. Le bébé qui l’a sauvée
« J’ai quitté mes parents tôt. Et ça a été de galère en galère... » à 25 ans, Dorothée préfère ne pas s’étendre sur un passé qui pèse déjà des tonnes. « J’ai touché le fond du fond. Et je me suis dit : il n’y a qu’un enfant qui pourra m’aider à me relever. Père ou pas père. » Elle a tatoué la date de naissance de son bébé sur sa peau. Début d’une seconde vie. « Ma fille m’a sauvée. Aujourd’hui, j’ai quelqu’un pour qui vivre, quelqu’un pour qui avancer, quelqu’un qui compte sur moi et que j’es-saie d’emmener sur le meilleur des chemins. » Grands espoirs, grands efforts. Dorothée fait un vrai travail sur elle-même. « être dans un foyer, c’est une gifle. J’apprends à demander de l’aide, à poser des limites, à m’ouvrir aux autres. » Le futur ? « On a des projets. Je vais commencer une formation en webmaster, avec laquelle j’aurai un avenir. Je ne veux pas rester au chômage et faire croire à ma fille que l’argent tombe du ciel. Ça ne marche pas comme ça... ».
WIDAD. La mode pour tenir le coup
Du khôl sous un regard brillant, une silhouette
de mannequin perché sur talons hauts. Widad,
30 ans, ne passe pas inaperçue. Dans les ves-
tiaires sociaux, elle repère les belles pièces.
« J’adore la mode. Essayer de rester belle, bien
arrangée, ça aide à rester en vie. » Son vœu
le plus cher serait pourtant de « devenir une
femme normale ». Comprenez : une mère qui
peut travailler pour nourrir ses enfants et sortir
sans se cacher. Le rêve est entrain de se réali-
ser... « Je viens d’avoir mes papiers.On va pou-
voir faire un boulot qu’on aime, comme des
gens normaux. » Un jour, Widad le sent, elle
travaillera dans un magasin de vêtements..
ANNICK
«Du moment que je trouve un emploi qui me convient, je me débrouillerai pour réaliser mes rêves.» Annick, 39 ans, n’a aucun caprice. Aucune envie de posséder, aucun fantasme d’ailleurs. Son luxe serait d’avoir un travail. Celui pour lequel elle a repris des études de secrétariat, en néerlandais. Celui pour lequel elle veut se battre, malgré son handicap. La porte vers le monde, l’espoir d’une vie sociale plus riche, hors de l’appartement encombré qu’elle partage avec sa maman. Des amis, des sorties, des voyages plus lointains que le resto du Cœur... Et elle y croit. Dans cette vie un peu étroite, Annick plonge dans les livres, les mangas, les bandes dessinées. Une passion qui la dévore. « En moyenne, je lis trois-quatre heures par jour, quand je vais à l’école. Sinon, jusqu’à six-sept heures ! » Les heures tournent, lentement, quand on est jeune et qu’on a peu de moyens. Dehors, le monde s’agite en tous sens. Et Annick rêve d’être au bureau.
Personnage haut en couleurs, Rachel a une façon de parler comme le vieux Bruxelles n’en fait plus. Dans sa tour de béton, elle n’allume jamais la lumière. Question d’économie. A force, on dirait qu’elle ne sait presque plus qu’elle est pauvre. « J’ai 752 euros en tout, par mois. Pas mal, hein ? Comme je ne dépense pas beaucoup, et bien, j’y arrive. Et je mets encore un peu de côté, pour s’il m’arrive quelque chose. Heureusement, je ne suis pas dépensière. Ça non, il faut bien le dire… » Depuis la mort de sa maman, elle est comme seule au monde. « C’est le week-end qui est dur. Tu n’entends personne, à part cet ascenseur... » Alors, Rachel participe joyeusement aux repas et aux sorties des associations, qui combattent la solitude autant que la précarité. Sur la télé, la dernière photo de sa mère. « Il y a sept ans qu’elle est décédée, mais je ne sais pas l’oublier. Qu’est-ce que tu veux, je suis une fille sentimentale. Mais il faut pas s’en faire pour moi, tu sais. Oh non.»
« Je suis restée dans la rue pendant presque 20 ans. » Nathalie, 38 ans, a connu les squats, les sacs de couchage dans les églises et la vie en communauté de fauchés. « Je suis tombée enceinte entre Belgacom et la Rue de la Poste », dit-elle en riant de ses références de fille des rues. « A l’époque, j’étais toxico et alcoolique. Mon copain m’a dit : tu choisis, c’est l’alcool ou le bébé. On a arrêté toutes nos conneries, du jour au lendemain. Depuis, on se tient droit, pas en zigzag. Il ne nous reste presque rien une fois qu’on a payé nos factures, mais on est bien. Et on se marie la semaine prochaine.» Leur petite fille va à l’école. Un petit frère est né. « Je voudrais bien un troisième, mais financièrement, ce n’est pas possible. » Elle aimerait travailler « dans les emballages. » Et pour le petit Adam, « qu’il soit le plus heureux possible. Et s’il veut être footballer pour ramener de l’argent à sa maman, ça m’arrangerait... Non, allez, il fera ce qu’il veut... » Ouf.
Préc.
Suiv.
Une exposition de La Boite à Images ASBL avec l’aimable autorisation de Christophe Smets et Céline Gautier