
07/09/2021
« Tous les hommes ne sont pas comme ça »
Chacun et chacune d’entre-nous sont déjà parvenu.e.s, lors d’une conversation portant sur des problématiques de violence de genre, au point Godwin version féministe; la sacro-sainte réplique du « pas tous les hommes ».
Attention, scoop:
Tous les hommes ne frappent pas;
Tous les hommes ne harcèlent pas;
Tous les hommes ne violent pas;
Tous les hommes ne tuent pas.
Préciser, alors qu’une personne sexisée témoigne des violences et des oppressions qu’elle a subies, que tous les hommes[1] (et soi-même en particulier) n’agissent pas comme ça est purement et simplement contre-productif et indélicat.
Ce que l’on dénonce c’est un système, une dynamique de violence; ramener la discussion à soi et sa condition d’homme cisgenre est non seulement déplacé, mais aussi l’aveu du fait que l’on se sente touché dans son ego, sa virilité ou son individualité.
Cette réplique est tellement récurante et problématique qu’elle est désormais devenue une expression et un concept défini dans le mouvement féministe, le « Not all men ».
Historique
En 2014 aux Etats-Unis, Eliott Rodger, un homme cisgenre âgé de 22 ans et provenant de la communauté incel, tue six personnes en raison de sa haine envers les femmes. Très rapidement, de vives réactions s’ensuivent pour dénoncer la misogynie ayant conduit à ce sextuple féminicide. Pour témoigner de l’oppression et des violences que subissent les femmes[2], le #YesAllWomen est créé, permettant de donner de la visibilité au phénomène. Hélas, l’argument Not all men est, en réponse, ressorti à toutes les sauces sur les réseaux sociaux.
Le #NotAllMen a, cependant, surtout émergé à la suite de l’affaire Weinstein et du #MeToo. La parole se libère (ou en tout cas, elle est plus écoutée), et les témoignages de violences sexuelles, de harcèlement ou de violences conjugales affluent[3]. Ces actes sont constitutifs d’un véritable problème structurel et systémique, où les femmes sont les victimes majoritaires et les hommes les agresseurs principaux. Pourtant, ce qui suscite l’indignation des hommes concerne davantage la généralisation dont leur groupe social est le sujet que les violences dénoncées.
A grands coups de memes et de gifs, les féministes se sont à leur tour réappropriées le #NotAllMen pour tourner en dérision les hommes cisgenres qui, sous des articles dénonçant de nouvelles violences sexistes, trouvent utile de préciser en commentaire que “eux ne sont pas comme ça”[4].
Dénoncer, écouter, agir
Pour devenir un·e bon·ne allié·e, la première étape vers plus d’équité serait d’en finir avec cette réaction, de la dénoncer et de sensibiliser quand on y est confronté·e, même (et surtout) quand on est soi-même un homme cisgenre.
Le Not all men sert le patriarcat. Appeler à nuancer, ne pas généraliser, relativiser, contribue avant toute chose à minimiser et décrédibiliser la parole des femmes. Évidemment que lorsque l’on témoigne de cette violence et que l’on désigne « des/les hommes », on est parfaitement au courant que certains ne sont pas visés. Déplacer le débat sur cette « nuance » c’est prendre son interlocutrice pour une idiote ou du moins l’accuser d’un manque de rigueur intellectuelle.
En outre, il dévie le sujet primordial qu’est l’existence pérenne du patriarcat (qui tue et discrimine tous les jours, partout dans le monde) vers un sujet bien moins crucial: l’inconfort des hommes de devoir possiblement se remettre en question et d’être touchés dans leur ego, alors que l’on dénonce un système, et non pas eux-mêmes. C’est aussi une façon de refuser de reconnaître ses privilèges et l’existence de sa position de domination dans une société inégalitaire.
En Belgique, en moyenne, une femme sur cinq est violée au cours de sa vie, 98% des femmes ont déjà été harcelées dans l’espace public et deux enfants par classe sont victimes d’inceste. Personne n’a l’indécence de contredire le fait que la (quasi)totalité de ces agresseurs sont des hommes.[5]
Au Not all men, des militantes répondent en placardant sur les murs de leur ville : “Pas tous les hommes, mais assez pour qu’on ait toutes peur”[6].
Il ne faut pas grand chose d’empathie pour réaliser que les revendications des femmes sont légitimes. Quand une proche, militante ou non, exprime son vécu, sa crainte et/ou sa colère, le fait qu’elle emploie le terme “les/des hommes” est tout à fait juste et la corriger sur cette question, c’est faire preuve de mauvaise foi.
Comment réagir ?
Quand un tel sujet est mis sur la table, il n’est pas toujours évident de trouver les mots justes pour y répondre. Il est en tout cas certain que tenter de changer de sujet ou de débattre car l’on ne se sent indifférent.e ou pas concerné.e est inadéquat. Mais l’on peut également se sentir mal à l’aise, attristé.e, impuissant.e, en colère et tout à fait désemparé·e face à ces témoignages. On peut alors apporter son soutien en disant par exemple:
- Je te soutiens
- Je te crois
- Je suis désolé.e qu’une telle chose te soit arrivée (et continue de t’arriver)
- Ce n’est pas ta faute
- Est-ce que je peux faire quelque chose pour t’aider?
- Ce que tu ressens est légitime, c’est super que tu arrives à l’exprimer
- Tu es courageu·x•se de parler
Si on a peur de dire une bêtise, on peut aussi être honnête sur son manque de connaissance sur le sujet ou son inconfort en précisant, en plus des exemples de phrases indiquées ci-dessus :
- Je suis désolé.e de ne pas bien maîtriser ce sujet, je préfère ne pas trop m’épancher. Je ne veux pas t’épuiser en te demandant de m’expliquer davantage. Je vais me renseigner de mon côté et nous pourrons en rediscuter si tu en as envie.
Faire en sorte que les personnes sexisées qui témoignent et partagent leur vécu se sentent dans un espace sécurisant et bienveillant est également plus qu’appréciable ; ne pas leur couper la parole ni accaparer la discussion, les défendre si elles sont en minorité et en ont besoin, ne pas amener de débat, ne pas les forcer à tenir un rôle de pédagogue si elles n’en ont pas l’envie ou la force.
Enfin, il ne faut pas attendre de félicitations, remerciements et encouragements si l’on est un homme qui se comporte décemment. Ne pas agresser, respecter le consentement de ses partenaires, partager équitablement la charge mentale dans son couple, comprendre un “non” ou un “stop” du premier coup, ne pas tenir de propos ou de comportement sexiste, cela devrait être la norme. Il est grand temps que l’on cesse de considérer cela comme des “grandes qualités” chez les hommes, mais comme des pré-requis.
“Pas tous les hommes” parce que “pas toi”?
C’est la moindre des choses.
En attendant,
Es-tu un allié?
Es-tu renseigné?
Est-ce que tu confrontes tes potes?
Est-ce que tu balances tes frères agresseurs ?
Est-ce que tu écoutes tes soeurs ?
Clémence Merveille Penna et Louise Paridans
Commission Jeunes du CFFB
Lexique :
Incel : provient de “involuntary celibate” (involontairement célibataire, en anglais) et désigne des communautés en ligne, généralement d’hommes cisgenres hétérosexuels, dont les caractéristiques sont la promotion de la misogynie et des violences envers les femmes ainsi que l’idée que le sexe leur est dû et que les femmes sont responsables de leur incapacité à trouver une partenaire sexuelle.
Cisgenre : se dit d’un individu dont l’identité de genre vécue correspond au genre assigné à la naissance.
Memes et gifs : désignent des images numériques, généralement à caractère humoristique, partagés en masse sur les réseaux sociaux. Les memes sont créés au départ d’une photographie, d’un dessin ou encore d’une citation auxquels est rajoutée une dose d’humour, tandis que les gifs (Graphics Interchange Format) sont des images animées.
Personnes sexisées : terme qui désigne les personnes victimes de sexisme et du patriarcat et qui inclut les femmes cis, les femmes trans et les personnes non-binaires perçues comme femmes.
Ressources :
« En finir avec les violences sexistes et sexuelles. Manuel d’action » de Caroline de Haas, éd. Robert Laffont, 2021.
Vidéo Youtube: On se laisse la nuit « #NOTALLMEN (C’est une bonne question#4)
https://www.youtube.com/watch?v=mp3ZWhcF1xA&ab_channel=Onselaisselanuit
Article « #NotAllMen #OnNePeutPlusRienDire : mais pourquoi donc certains hommes n’encaissent-ils pas le féminisme ? » de Hassina Semah pour « Les Grenades », 8 décembre 2019
Article « NOT ALL MEN! #MODE D’EMPLOI » par Roxanne Valin – barbieturix.com 30 avril 2019
Post instagram “tous les hommes ne sont pas comme ça”, @ordredelapetiteculotte, 12 mars 2021. https://www.instagram.com/p/CMU9GUjFIrn/
[1] Par “tous les hommes”, nous visons ici les hommes cisgenres (voir lexique pour la définition).
[2] Ou personnes s’identifiant comme tel.
[3] https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_notallmen-onnepeutplusriendire-mais-pourquoi-donc-certains-hommes-n-encaissent-ils-pas-le-feminisme-une-chronique-d-hassina-semah-pour-les-grenades?id=10383739
[4] https://www.youtube.com/watch?v=mp3ZWhcF1xA&ab_channel=Onselaisselanuit
[5] https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/stop-violences-sexuelles ; https://www.moustique.be/28049/linceste-une-si-discrete-horreur ; https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_l-inceste-une-violence-frequente-et-genree?id=10670878 ;
[6] https://www.pinterest.com/pin/393009504987839857/