Une victoire féministe pour terminer l’année

Communiqué de presse

En cette fin d’année qui a vu les droits des femmes à la fois mieux reconnus et défendus par les pouvoirs publics, mais malheureusement aussi à nouveau à la Une de l’actualité suite aux révélations d’abus sexuels – que ce soit dans les bars de Bruxelles ou dans des strates de la société qui semblaient jusqu’ici épargnés par ce fléau -, le Conseil des Femmes Francophones de Belgique se réjouit de la décision du 16 décembre émanant du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel).

Cette décision[1] fait suite à une plainte déposée le 19 mars dernier, le lendemain de l’émission incriminée, « C’est vous qui le dites » diffusée sur Vivacité à 9h du matin. Au cours de celle-ci, les deux journalistes sur le plateau ainsi que les auditeurs étaient invités à commenter le recours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH), d’une femme française de 66 ans, condamnée lors d’une procédure de divorce parce qu’elle aurait refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari. Elle a ensuite attaqué l’état français devant la CEDH pour ingérence dans la vie privée et atteinte à l’intégrité physique.

En plateau, le journaliste de Sudpresse, Pierre Nizet (diplômé de l’ULB en 1993)  s’exprime comme suit : « Je sais que ça va un petit peu choquer les associations féminines, féministes, mais je crois que oui quand on se marie c’est pour avoir des relations sexuelles ; j’ose espérer que c’est quand même la finalité de couple ». Le second journaliste invité, le rédacteur en chef de la DH, Jean Marc Gheraille, lui rétorque vivement que « contraindre une personne, même en insistant lourdement, d’avoir une relation sexuelle, c’est du viol ! ». L’animateur Cyril Detaye donne alors la parole à une auditrice, Naomi, qui fait brillamment le job : « Donc, pour Pierre, le viol fait partie du mariage ? Il faut dire les choses comme elles sont : est-ce que c’est OK de violer son conjoint ? Non, ce n’est pas OK ! Il n’y a pas de débat à avoir ». Elle poursuit en évoquant toutes les personnes qui subissent des violences sexuelles au sein de leur couple et qui entendent cette émission de la RTBF qui normalise ces violences, en estimant qu’il s’agit d’un débat, d’une question d’opinion.

Naomi dénonce encore le fait que le débat, censé parler de la plainte de la femme française, se mue en débat sur « Peut-on ou non violer sa femme ?».  Ce à quoi l’animateur rétorque que la loi en Belgique dit que c’est une obligation d’entretenir des relations sexuelles consenties au sein du mariage.  Une affirmation totalement fausse !

L’ avis du CSA[2] est particulièrement motivé sur 17 pages. Outre les manquements évidents et le parti-pris sexiste de l’animateur qui se défend en arguant qu’il s’agit d’un sujet complexe, le CSA n’est pas dupe et conclut que ce programme est contraire au respect de l’égalité entre les femmes et les hommes ; que le consentement n’est jamais perpétuel et que le code pénal interdit les viols en toutes circonstances.  Il souligne que l’auditrice Naomi opère, à la place de l’animateur, un recadrage sur le viol conjugal et dénonce enfin le fait que le débat se termine finalement par une sorte de mise sur pied d’égalité de deux opinions différentes.  En effet, dans l’intervalle, Renaud, un autre auditeur, à recours à de multiples reprises à ce stéréotype sexiste du soi-disant devoir conjugal, banalisant la violence conjugale en disant notamment à l’antenne : « Euh, oui bon maintenant on parle de viol beaucoup, pour tout et n’importe quoi ». L’animateur ne réagit pas, pas plus quand Renaud  présente les auteurs de ces agressions, càd les pauvres maris privé de rapports sexuels,  comme des victimes secondaires.

L a RTBF, éditeur de l’émission, a bien tenté de se dédouaner, affirmant n’avoir commis aucune faute ; le CSA regrette « cette arrogance »  et souligne que cela dénote une absence totale de remise en question ou de prise de recul.  Le CSA reprend ensuite plusieurs passages de l’avis rendu par  l’Institut pour l’Egalité entre les Femmes et les Hommes (IEFH) sur cette affaire :  « Le stéréotype du devoir conjugal, invoqué régulièrement pendant l’émission, aboutit à présenter l’agression sexuelle dans le mariage comme « l’exécution » d’une prétendue obligation légale d’avoir des relations sexuelles. Le viol conjugal est une notion qui reste taboue dans la société et cela s’explique notamment par la notion de devoir conjugal qui est encore très présente dans les esprits bien que sans aucune valeur légale en Belgique ». 

Selon l’IEFH, continuer à diffuser cette notion de devoir conjugal comporte un risque de banalisation des violences envers les femmes. Il conclut en soulignant que les médias peuvent constituer un vecteur de changement social en promouvant la tolérance zéro vis-à-vis des violences. Parmi les mesures nécessaires, il y a celle de contextualiser ces faits de violences en expliquant qu’ils relèvent de problèmes structurels et non de simples rapports privés. Les médias ont dès lors une responsabilité dans la manière dont les violences faites aux femmes sont traitées, et ont donc aussi un impact sur la perpétuation ou non de ces violences. On ne peut être plus clair !

Le Conseil des Femmes Francophones de Belgique remercie toutes les personnes et associations ou institutions qui ont, depuis de nombreuses années, travaillé pour qu’advienne la prise de conscience nécessaire du lien direct entre le sexisme structurel, dont la minimisation des violences envers les femmes est exemplatif, et la perpétuation de celles-ci. C’est grâce à ce travail de fond et de longue haleine qu’aujourd’hui non seulement les organismes de contrôle mais également les citoyennes et les citoyens peuvent s’appuyer sur des textes réglementaires et légaux pour qu’enfin cette culture de la domination et du viol  cesse et que ceux et celles qui les promeuvent soient mis devant leurs responsabilités et condamnés.

La lumière est au bout du tunnel, et au nom du CFFB, malgré le contexte particulièrement préoccupant,  nous vous souhaitons une meilleure année 2022,

Pour le CFFB, sa présidente

Sylvie Lausberg


[1] https://www.csa.be/documents/?term=D%C3%A9cisions

[2] L’animateur n’étant pas considéré comme un journaliste, ce n’est pas le conseil de déontologie journalistique qui a été saisi