Les 10 RECOMMANDATIONS du CFFB et l’accord de gouvernement
Monsieur le Premier Ministre, Elio di Rupo,
Madame la Ministre de l’Egalité des chances, Joëlle Milquet,
Mesdames, Messieurs les Ministres et Secrétaires d’Etat,
Le Conseil des Femmes Francophones de Belgique se réjouit qu’un gouvernement de pleins pouvoirs, puisse travailler sur base d’un accord de gouvernement.
Lors de la négociation, le CFFB avait identifié 10 recommandations prioritaires qu’il souhaitait voir inscrire dans l’accord du gouvernement. Car il s’agissait pour nous, malgré le contexte institutionnel difficile, de défendre les droits des femmes, de les faire progresser, afin que leur condition, encore souvent plus difficile sur le plan socio-économique et sur le plan des violences, ne soit pas oubliée.
Monsieur le Premier Ministre, Madame la Ministre de l’Egalité des chances, Mesdames, Messieurs les Ministres et Secrétaires d’Etat, si nous nous réjouissons que plusieurs demandes aient été entendues et que de nombreuses mesures aient été intégrées dans la Déclaration de politique générale, nous nous permettons de vous rappeler, que le gendermainstreaming étant une compétence transversale, aurait dû être intégré dans toutes les compétences ministérielles et pour tous les programmes annoncés par l’actuel gouvernement. Cela aurait sans doute évité des mesures socio-économiques ayant un impact défavorable sur les femmes.
En lien avec nos 10 recommandations, nous tenons à vous faire part de nos remarques et propositions :
1. Que soient enfin pris les arrêtés nécessaires à une application de la loi du 12 janvier 2007 intégrant la dimension de genre dans l’ensemble des politiques au niveau fédéral. Il s’agit là de prendre réellement en compte les situations défavorables et les inégalités vécues par les femmes et les hommes et d’évaluer les impacts des mesures envisagées sur les personnes et sur l’égalité. Concrètement, soutenir notamment le processus de gender budgeting et adopter le « test gender » permettant l’évaluation de l’impact de chaque projet d’acte législatif et réglementaire sur la situation respective des femmes et des hommes. Veiller aussi à garantir la production de statistiques ventilées par sexe et d’indicateurs de genre.
Nous nous félicitons que la déclaration de politique générale annonce, comme nous le demandions, la mise en œuvre effective de la loi du 12 janvier 2007 relative à l’intégration de la dimension du genre dans les politiques fédérales. Nous regrettons toutefois que seules deux politiques par Ministre devront faire l’objet d’une lecture du genre. Par ailleurs, nous demandons que soit rapidement mis en place le groupe interdépartemental de coordination afin de pouvoir avancer rapidement avec l’expertise de l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes et les travaux universitaires existant. Quant au « test gender », il est important qu’il fasse l’objet le plus rapidement possible d’un arrêté royal.
2. Le CFFB demande que l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH) reste un organe indépendant et que la dimension égalité femme-homme ne soit pas intégrée (1) dans le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme où la spécificité des inégalités entre hommes et femmes serait noyée parmi d’autres discriminations. Le sexisme concerne certaines formes de discrimination, qui ne sont pas du ressort des lois antidiscrimination, mais qui correspondent plus subtilement à certains stéréotypes relatifs aux femmes et aux hommes. Ces formes subtiles, ne sont actuellement mentionnées dans aucune loi et ce, malgré les dommages qu’elles peuvent causer. C’est la raison pour laquelle le CFFB demande une loi contre le sexisme à l’instar de la loi du 30 juillet 1981 contre le racisme et la xénophobie.
Nous nous félicitons que ces points aient été intégrés dans la déclaration gouvernementale. Il est important que l’IEFH reste indépendant et nous restons à votre entière disposition pour apporter notre expertise en ce qui concerne une loi sur le sexisme.
3. En matière de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales, une application rigoureuse et obligatoire de la circulaire « Tolérance 0 » sur tout le territoire belge. De plus, en février 2006, lors d’une conférence interministérielle, les Ministres fédéraux, régionaux et communautaires ont adopté une définition unique des violences conjugales. Cette définition constitue depuis le cadre de référence des pouvoirs publics – tous niveaux confondus – en matière de violences conjugales. C’est pourquoi, nous rappelons la nécessité de coordonner l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi de politiques à différents niveaux de compétences (judiciaires, sociales, éducatives, de santé) et l’établissement de statistiques fiables, tant dans le cadre policier que judiciaire, qui permettront de répondre à des sollicitations scientifiques (recherches) ou à des interrogations du monde politique. Par ailleurs, nous demandons également plus de moyens pour le nouveau plan d’action national contre les violences couvrant la période 2010-2014 puisqu’il a été étendu à d’autres formes de violences contre les femmes (mariages forcés, crimes dits « d’honneur », mutilations génitales).
Ici également, les mesures proposées vont dans le sens de nos revendications en ce qui concerne la lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales. Nous prenons note de l’engagement pris de mettre réellement en œuvre le Plan national de lutte contre les violences, ainsi que son élargissement à toutes les formes de violence (mariages forcés, crimes dits « d’honneur », mutilations génitales). Nous nous réjouissons également de l’engagement pris d’amplifier la politique judiciaire de la circulaire « tolérance 0 ». Nous nous réjouissons de l’intention de la Ministre de l’Egalité des chances de se pencher de manière plus approfondie sur le système prostitutionnel, mais nous insistons également pour qu’une attention particulière soit portée à la traite des êtres humains, qu’il s’agisse d’exploitation sexuelle (dans le cadre de la prostitution essentiellement) ou d’exploitation économique (par le travail).
4. Même si un progrès minime existe en Belgique, l’écart salarial entre les femmes et les hommes s’élève encore à 23% (bruts, en moyenne, temps partiels compris). C’est pourquoi nous demandons une réévaluation des fonctions assortie d’une réelle égalité des salaires entre hommes et femmes (cf loi du 10 mai 2007). Les emplois créés doivent donner accès à des revenus qui permettent aux femmes une réelle autonomie financière et des droits complets en matière de sécurité sociale. Nous demandons aussi que les pouvoirs publics ainsi que les employeurs, les syndicats, les écoles, les services d’orientation ou de formation professionnelles, etc… informent les travailleuses sur les conséquences de certaines orientations de carrière, choisies ou non (crédit-temps et temps partiel).
Concernant la réduction de l’écart salarial, nous nous félicitons que cette préoccupation soit prise en considération car il s’agit d’une vraie discrimination envers les femmes. En ayant pour projet de promulguer une loi relative à l’égalité salariale qui intégrera un système de classification analytique des fonctions dans le calcul des rémunérations, vous répondez enfin à une très ancienne demande des associations féminines. Mais nous insistons encore sur l’information qui doit être donnée aux femmes concernant les conséquences de leurs choix de carrière, de contrats d’emplois sur leur pension.
5. Pour le Service des Créances Alimentaires (SECAL), un relèvement du plafond (2) de revenus donnant droit à des avances sur pension alimentaire à 1800€ par mois et la suppression des frais à charge du créancier d’aliments (comme le propose Maya Detiège (3), députée sp.a à la Chambre). Pour nous, cela constitue une étape intermédiaire vers une application totale de la loi du 21 février 2003 qui prévoyait l’octroi des avances sur les pensions alimentaires non payées sans conditions de revenus et pour tous les ayants droit (enfants comme conjoint-e-s).
Nous nous réjouissons que le Gouvernement s’engage à optimiser les récupérations des avances auprès des débiteurs. Mais malheureusement, ce gouvernement ne répond pas à la demande de relèvement du plafond des revenus concernant les avances sur les pensions alimentaires ni ne mentionne la suppression des frais auprès du créancier ainsi que le refinancement pourtant urgent du SECAL.
Le CFFB demande que les revendications de la Plate-forme créances alimentaires fassent l’objet d’une attention particulière de la part du Ministre compétent.
6. Une évaluation de la loi de 2007 réformant le divorce. Cette évaluation devrait être particulièrement attentive aux impacts des nouvelles dispositions en matière de pension alimentaire sur les membres du ménage ayant de moindres revenus – une majorité de femmes. Mais elle devrait aussi s’intéresser au déroulement des procédures (choix, longueur, garde des enfants, séparation des biens, etc.), au traitement des cas dans lesquels sont invoquées des violences ou encore aux disparités d’application sur le territoire belge.
Nous nous réjouissons de la mise en place annoncée du Tribunal de la Famille. Par contre, nous n’avons rien vu dans la déclaration du gouvernement au sujet de la nécessaire évaluation de la loi et le regrettons. Nous restons convaincues que cette évaluation est nécessaire et vous demandons d’y réfléchir.
7. Entamer le processus d’individualisation des droits sociaux et fiscaux. Ce processus doit être progressif en commençant par les jeunes générations et sans atteinte aux droits acquis actuellement (cf le n° 2-2009 de la Revue Belge de Sécurité Sociale)
Nous demandons que le gouvernement mette sur pied un groupe de travail sur l’individualisation des droits en matière de sécurité sociale. Cette individualisation des droits assurerait une plus grande égalité de fait entre les femmes et les hommes et adapterait la sécurité sociale à l’évolution des modèles familiaux.
La mesure en matière de pensions de survie va dans le sens d’une individualisation des droits – revendiquée depuis les années 80 par les associations féministes -. Néanmoins, les organisations de femmes insistent pour que cette individualisation des droits se fasse dans le cadre d’une réflexion globale sur la modernisation de notre système de sécurité sociale en lien avec les évolutions de la société et sans appauvrir les femmes.
Nous nous permettons d’insister pour la mise sur pied urgente d’un groupe de travail comme nous le demandions, qui permettrait d’avancer dans la réflexion et de faire des propositions en vue d’une individualisation des droits en sécurité sociale.
8. Un renforcement des pensions du 1er pilier plutôt que des systèmes des 2ème et 3ème piliers toujours défavorables aux femmes. De plus, des mesures doivent être instaurées dans le système des pensions afin de corriger les inégalités qui frappent les femmes tout au long de leur carrière, des inégalités qu’elles paient une seconde fois à l’âge de la pension. À la veille d’une probable réforme du système des pensions, il faut absolument tenir compte des importants écarts entre les pensions des hommes et celles des femmes, mais aussi des situations dans lesquelles les femmes dépendent totalement de la pension de leur conjoint.
La déclaration de politique générale prévoit d’inviter les partenaires sociaux à «consolider le 1er pilier et à envisager une généralisation du 2ème pilier». La consolidation du 1er pilier, – seul à être solidaire et redistributif-, est positive pour les femmes. Nous nous interrogeons par contre sur la généralisation du 2ème pilier, qui risque d’affaiblir le 1er et d’accélérer sa dégradation. Or, ce 2ème pilier fonctionne par capitalisation, ce qui défavorise les plus bas revenus. Par contre, nous ne constatons dans la déclaration aucune mesure destinée à diminuer le fossé entre les pensions de retraite des femmes et celles des hommes (en moyenne du simple au double : de 629 € à 1287 € en 2010). Nous demandons donc des mesures visant à octroyer aux femmes des pensions décentes sur base des droits individuels.
9. Une réelle objectivation du calcul des pensions alimentaires. La loi du 19 mars 2010 « visant à promouvoir une objectivation du calcul des contributions alimentaires des père et mère au profit de leurs enfants » prévoyait la mise sur pied d’une commission chargée d’établir des recommandations pour mieux évaluer le calcul des contributions alimentaires, voire de proposer un mode de calcul qui pourrait ensuite être fixé par arrêté royal. Nous demandons d’accélérer la procédure afin que cette commission soit installée au plus vite.
Pour ce qui concerne la fixation du montant des créances alimentaires, si l’on sent qu’il y a une préoccupation et une écoute, nous aurions souhaité davantage de mesures plus concrètes. Le CFFB prend acte de la décision du gouvernement de mettre en place la commission «objectivation» et demande à ce que les mouvements de femmes soient représentés dans la commission «objectivation» et qu’une concertation se mette en place avec la plateforme créances alimentaires pour examiner ses demandes.
10. Les droits des femmes sont de plus en plus soumis aux pressions de fondamentalismes réactionnaires et religieux. Ceci implique la restriction des droits sexuels et de santé reproductive, de l’autonomie, de la liberté des femmes, et de leur participation à la vie publique et économique et davantage de violence à l’encontre des femmes. Le CFFB demande : des mesures garantissant que les organisations (nationales) de femmes puissent participer aux réunions internationales, aux conférences, aux sessions des comités en matière de droits humains, de statut de la femme et de questions de population et développement ; la création d’une ligne budgétaire pour les organisations nationales de femmes, afin de pouvoir financer leurs travaux et leurs projets relatifs aux droits humains et aux droits des femmes au niveau international; l’abrogation immédiate du statut consultatif des organes représentant les religions dans les forums internationaux (ONU, Conseil de l’Europe, …), tels que le Saint Siège, l’Organisation de la Conférence islamiste, etc. ; le financement d’une étude sur la nature des organisations non-gouvernementales accréditées, en vue d’identifier et d’écarter les organisations dont les vues, les prises de position ou les actions s’opposent au respect des droits humains, y compris les droits sexuels et reproductifs des femmes.
Nous estimons qu’il est important pour le Conseil des Femmes de participer aux réunions internationales ou du moins être associé à leur préparation et à être informé des résultats des débats, lorsqu’il s’agit de dossiers concernant l’égalité femmes – hommes et la défense des droits des femmes.
Notre inquiétude se porte sur le dossier des droits sexuels et de santé reproductive : même si la loi sur l’avortement protège les citoyennes belges, il nous semble primordial de rester vigilantes et d’attirer votre attention sur ce dossier qui subit de nombreux reculs dans beaucoup de pays ainsi que dans des institutions internationales, soit par une modification des législations, soit par des limitations de budgets.
En conclusion, le CFFB tient à rappeler que les restrictions budgétaires ne peuvent se faire au détriment de celles et ceux qui sont déjà en difficulté. Nous savons par expérience combien ces politiques et plans d’austérité (quels que soient leur nom et les objectifs qu’ils affichent) ont tendance à peser en priorité sur les personnes déjà les plus précarisées et sur les femmes en particulier. Nous resterons vigilantes et n’accepterons aucun retour en arrière par rapport aux droits des femmes.
(1)Avis n°31 du Conseil de l’Egalité des chances entre hommes et femmes (7 avril 2000)
(2)Actuellement, il est fixé à 1300€ par mois + 62€ par enfant à charge.
(3)Document législatif : http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/53/1381/53K1381001.pdf