Article publié le 05/02 par les Grenades
« Quelle place pour l’égalité de genre et la lutte contre les violences faites aux femmes dans l’accord de gouvernement fédéral, bouclé après sept moins de négociations entre les cinq partis qui composent la nouvelle majorité (N-VA, MR, CD&V, Les Engagés et Vooruit) ?
Nous nous sommes plongées dans ce texte qui fait beaucoup réagir les associations féministes et les expertes de terrain.
Tout d’abord, quelques mesures prévoient la lutte contre les violences faites aux femmes avec la poursuite du déploiement dans tout le pays des Centres de prise en charge des victimes de violences sexuelles (CPVS), ou encore la création de centres de référence spécifiques pour les victimes de mutilations génitales féminines.
L’accord stipule par ailleurs que le gouvernement sera « attentif aux différences entre les hommes et les femmes en matière de symptômes, de prévention et de traitement des maladies. Lors d’études cliniques et de la commercialisation de médicaments, la recherche scientifique doit accorder davantage d’attention à cet aspect. Les maladies qui touchent exclusivement les femmes méritent également plus d’attention. Ce gouvernement élabore plus particulièrement un plan d’action pour l’endométriose qui pourra être mis en œuvre dans le courant de l’année 2025. »
L’accord peine à convaincre sur le socio-économique
Pour le reste, l’accord peine à convaincre les associations féministes. C’est « une déception » précise Meron Knikman, la présidente du Vrouwenraad, une association coupole comptant plusieurs dizaines de membres, et qui constitue le pendant néerlandophone du Conseil des Femmes. « Pendant toutes les négociations, nous avons écrit aux différents partis pour nous exprimer sur l’importance de ne pas oublier les conséquences genrées des mesures. Maintenant que nous avons l’accord sous les yeux, nous découvrons que les femmes seront durement touchées par les mesures annoncées. Si on prend le calcul de la pension par exemple, le changement dans les périodes prises en compte va impacter les femmes en premier lieu. Elles sont surreprésentées dans les mi-temps, et les interruptions de carrière, notamment parce qu’elles effectuent encore le travail domestique non rémunéré, une réalité qui n’a pas été prise en considération dans cette réforme. »
En conséquence : « L’écart entre les pensions des femmes et des hommes va augmenter ! », estime-t-elle. « Et les mesures qui ciblent les malades longue durée, qui doivent être ‘réactivé·es’, ont aussi un impact genré puisque ce sont majoritairement des femmes qui sont concernées, qui ne sont pas dans des situations faciles ou qui souffrent de maladie chronique. »
Le rythme des enfants, scolaire par exemple, ne sera pas plus flexible
Vie Féminine n’en pense pas moins : « Le gendermainstreaming – obligation légale des gouvernements à analyser l’impact de leurs mesures sur les femmes et les hommes et à rectifier le tir en cas de différences – a vraisemblablement disparu », s’inquiète l’association dans un communiqué, précisant qu’elle » s’alarme de l’effet des politiques annoncées sur la situation des femmes, déjà statistiquement plus précaires que les hommes. Lorsqu’on affaiblit leur autonomie économique, c’est bien aux droits des femmes que l’on s’attaque. Ce gouvernement n’est pas seulement anti-social, il est de facto anti-femmes. »
Au sein de La Ligue des Familles non plus, on ne mâche pas ses mots. « La réforme du marché du travail concerne tout le monde, mais les femmes seront plus fortement impactées. Il y a notamment l’introduction de la flexibilisation du travail, avec la suppression de l’interdiction du travail le dimanche et les jours fériés et le travail de nuit qui ne commencera pour certains secteurs qu’à minuit, au lieu de 20h. Tous ces horaires atypiques ne favorisent pas la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle. Ce sont les femmes qui ont la charge des enfants et des tâches familiales, cette flexibilisation va donc accentuer la pression sur elles, qui doivent déjà se couper en quatre : le rythme des enfants, scolaire par exemple, ne sera pas plus flexible, alors qu’il n’existe pas assez d’espace et de services de garderie. Je pense aux mères monoparentales, comment vont-elles faire ? Elles constituent déjà un public particulièrement fragile, ces mesures ne vont pas du tout les aider à trouver ou garder un emploi », souligne Madeleine Guyot, directrice générale de l’association.
Pas de congé de paternité obligatoire, mais un renforcement du SECAL
Quant à la réforme des congés parentaux, « elle se fera au fur et à mesure pour arriver à ce qu’ils appellent ‘un sac à dos’ lié aux enfants dans un ménage et qui reprend tous les congés qui existent : crédit-temps, congé de maternité et de paternité, etc. La répartition de ces congés sera laissée à l’appréciation du ménage, au sein des couples, ce qui risque d’entrainer des enjeux genrés, des frictions. D’autres pays, comme la Suède, ont introduit ce paquet de congés à se partager, et on constate là-bas que cela n’est pas une mesure performante pour lutter contre les inégalités de genre. Nous aurions préféré l’instauration d’un congé de paternité obligatoire, pour que chaque parent prenne ses responsabilités et que cela ne soit justement pas une négociation dans le couple ou auprès des employeurs », indique Madeleine Guyot.
La suppression progressive de la pension de survie, après le décès d’un conjoint décède, une situation qui concerne majoritairement les femmes, est également citée dans les éléments qui entraîneront des conséquences négatives pour les femmes.
A l’inverse, une mesure de l’accord est saluée par certaines associations, dont la Ligue des Familles : la réforme du SECAL, le Service des créances alimentaires qui avance les contributions alimentaires non payées.
« Dans notre dernier baromètre, on a montré que la moitié des parents ne reçoivent pas régulièrement ou pas du tout les pensions alimentaires qui leur sont dues, c’est un problème majeur et qui concerne surtout les mères. Le SECAL va être renforcé de trois manières selon l’accord de gouvernement : une mère qui fait appel à ce service pour réclamer des arriérés va automatiquement pouvoir les recevoir, cela demandait des démarches auparavant, le montant des avances perçues va être augmenté, jusqu’à arriver à sa suppression, il était auparavant limité à maximum 175 euros par enfant, ce qui mettait les femmes dans des situations difficiles. Enfin, il sera obligatoire de passer par le SECAL en cas de violences intrafamiliales », précise Madeleine Guyot, qui regrette toutefois que la réforme n’aille pas jusqu’au bout comme le propose l’étude de faisabilité d’un système qui rendrait automatique le recours au SECAL dans tous les cas de versement des pensions alimentaires.
Pour la présidente du Conseil des Femmes Francophones de Belgique (CFFB), Sophie Rohonyi, également présidente du parti DéFI (dans l’opposition), il y a du positif dans les mesures annoncées, elle énumère »le renforcement du SECAL, le congé de maternité pour les femmes indépendantes, ou la pérennisation des CPVS. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour contrer toutes les mesures qui risquent d’avoir des conséquences négatives pour les femmes. Certaines mesures vont impacter les femmes qui travaillent dans des métiers pénibles, en les menaçant d’un malus dans le montant de leur pension si elles prennent leur retraite plus tôt. Je m’inquiète aussi pour le budget des soins de santé, dans un contexte où les femmes y recourent plus souvent, pour des questions de santé gynécologiques ou obstétricales. Que se passera-t-il si les frottis ne sont plus aussi bien remboursés ? »
Lorsqu’on affaiblit leur autonomie économique, c’est bien aux droits des femmes que l’on s’attaque
Sophie Rohonyi de citer l’avortement, un dossier qui fait régulièrement l’actualité en Belgique, « dans l’accord, on trouve l’avortement sur la même ligne que les soins palliatifs… et une décision sur ce sujet devra faire l’objet d’un consensus entre les partis de la majorité, cela signifie que chaque parti du gouvernement a un droit de véto sur la question de l’avortement. Ce n’est donc pas mieux que le précédent gouvernement. Il s’agit toujours d’un marchandage politique sur le dos des femmes. C’est pourtant un enjeu majeur de santé publique. Les expert·es préconisent un assouplissement de la loi depuis 2023. Et on va maintenir cette loi stigmatisante ? Des centaines de femmes chaque année sont concernées, elles se trouvent hors délai pour pouvoir avorter. Elles doivent recourir à un avortement clandestin ou aller avorter dans un autre pays, ce qui a un impact financier. »
Aucune femme au kern
Selon le Vrouwenraad et le CFFB, la composition du nouveau gouvernement Arizona est symbolique de cet accord de gouvernement : seulement 4 femmes pour 11 hommes et une seule femme, Annelies Verlinden (CD&V), à un portefeuille régalien, celui de la Justice. Aucune femme n’est présente au kern, le conseil des ministres restreint. C’est désormais Rob Beenders (Vooruit) qui est le ministre en charge de l’Égalité des Chances.
Une composition qui a fait couler beaucoup d’encre (allant jusqu’à entrainer un deuxième tirage de la photo officielle) et qui a été qualifiée de « Boy’s Club ». Si les gouvernements ne peuvent pas être composés uniquement de personnes du même genre, il n’existe pas d’obligation de parité, ce qui a incité le PS, désormais dans l’opposition au fédéral, a déposé le 4 février une proposition de révision de la Constitution pour imposer la parité au sein du gouvernement fédéral. Le groupe Ecolo-Groen a lui proposé d’imposer un certain seuil pour le genre sous-représenté, à l’instar de ce qui existe aux gouvernements wallon et de Fédération Wallonie-Bruxelles (un tiers minimum du gouvernement). Le 5 janvier, DéFI a à son tour communiqué avoir déposé une proposition de révision de la Constitution pour obliger à avoir un certain nombre de femmes au gouvernement fédéral.
Le volet socio-économique a été négocié entre hommes, seulement entre les présidents de parti, et cela se sent
« Cela se sent qu’il n’y a pas eu beaucoup de femmes à la table des négociations, j’ai beaucoup de respect pour Vanessa Matz, seule femme à avoir pris part aux négociations pour conclure cet accord, mais le volet socio-économique notamment a été négocié entre hommes, seulement entre les présidents de parti, et cela se voit. Il manque de nombreux aspects, et ce n’est même pas comme si ces hommes politiques n’étaient pas conscients de ces questions, nous en avons beaucoup parlé ces dernières années, c’est juste que cela ne fait pas partie de leurs priorités, encore moins dans une période d’économie budgétaire. Les mesures qui pourraient soutenir les femmes ne sont pas vues comme un investissement, mais comme un coût », déplore Sophie Rohonyi.
Le nouveau Premier ministre Bart De Wever (N-VA) a indiqué vouloir « une évolution, pas une révolution. » « Je pense qu’il s’agit surtout d’une régression », commente Sophie Rohonyi.
« Les femmes sont absentes du kern, qui est le lieu où sont prises les décisions importantes, c’est le lieu du pouvoir. L’obligation d’avoir des listes électorales paritaires n’a qu’un impact limité si les femmes, et les minorités d’ailleurs, n’accèdent pas aux lieux de décisions. Le nouveau gouvernement belge ne reflète pas l’ensemble de sa population, sa diversité, ce n’est pas quelque chose dont on peut se réjouir. Les priorités sont claires. Ces décisions ne sont pas prises par hasard, ce sont des choix politiques. Pour nous, les cinq prochaines années seront un marathon, cela ne va pas être facile », analyse de son côté Meron Knikman. »
