
26/01/2021
Plus de 30 ans après l’adoption de la première loi dépénalisant partiellement l’avortement, le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) fait encore l’objet de menaces en Belgique… Les anti-choix sont encore toujours présents et attaquent sans cesse le droit des femmes à disposer de leurs corps comme elles l’entendent. Quelles sont leurs méthodes ? Comment déceler leurs techniques, parfois cachées dans des propositions qui semblent a priori éloignées des questions liées à l’autonomie et à la liberté de choisir de la femme ?
Historique
Après des décennies de lutte et de nombreuses manifestations, c’est finalement le 3 avril 1990 que la loi belge de dépénalisation partielle de l’avortement a été adoptée. Cette loi était certes une très grande avancée, mais ne légalisait pas en tant que tel l’avortement puisqu’elle fixait des conditions à la dépénalisation comme, par exemple, la nécessité qu’un médecin atteste que la femme soit en situation dite “de détresse”. Les sanctions pénales pour les femmes et les médecins ne respectant pas une ou plusieurs des conditions de la loi ont été insérées dans la législation afin de ne surtout pas normaliser cet acte médical, mais aussi pour rappeler aux femmes et médecins que l’IVG reste un délit, même si les sanctions pénales ne sont pas appliquées. 28 ans après cette première loi, les député.e.s ont voté, le 15 octobre 2018, une législation légèrement plus favorable aux femmes : suppression de l’état de détresse et de l’interdiction de publicité sur l’IVG ou encore la création d’un délit d’entrave physique. Bien que cette loi sorte techniquement le droit à l’IVG du code pénal belge, les peines de prison et d’amendes demeurent, tant pour les femmes que pour les médecins.
Et aujourd’hui ?
En 2019, 8 partis sur les 12 siégeant à la Chambre des représentant.e.s déposèrent des propositions de loi visant à améliorer l’accès à l’IVG afin de répondre au vécu des femmes. Après de nombreuses discussions en commission Justice et suite aux blocages répétés des opposant.e.s à la proposition de loi (cdH, CD&V, N-VA et Vlaams Belang), aucun vote n’a pu avoir lieu et celle-ci a été mise au frigo lors de la constitution du nouveau gouvernement.
L’accord de gouvernement, signé le 30 septembre 2020, prévoit en effet qu’un comité scientifique multidisciplinaire soit constitué et qu’une étude-évaluation de la loi actuelle soit menée, dans le but de continuer les débats en commission Justice et de trouver un consensus entre les partis du gouvernement sur une éventuelle évolution. La demande de création de ce groupe d’expert.e.s était inattendue, quand on sait qu’une commission nationale d’évaluation de la loi IVG existe depuis 1990, dont les membres sont nommé.e.s par arrêté royal, et que de nombreuses réponses ont déjà été apportées aux député.e.s depuis le commencement des débats en 2016, et notamment lors de nombreuses auditions en commission de la Justice en juin 2018. La société civile espère que cette obligation de parvenir à un consensus n’empêchera pas d’obtenir des résultats constructifs dans un délai raisonnable.
Les menaces et pièges invisibles
L’accès à l’IVG en Belgique est plutôt bon, mais pourrait certainement être meilleur. On rappellera qu’en dehors des sanctions pénales toujours présentes, les femmes n’ont que 12 semaines pour prendre leur décision, trouver un praticien, et attendre qu’on veuille bien pratiquer l’IVG… Ce délai est trop court pour environ 500 femmes par an et cela pour diverses raisons (violences conjugales, troubles hormonaux et absence de règles, déni de grossesse, règles irrégulières, etc.). En Belgique, les femmes doivent obligatoirement attendre 6 jours entre la première consultation et l’acte médical. Et selon la loi, il est obligatoire de leur proposer de “poursuivre leur grossesse afin de donner leur futur enfant à l’adoption”. Depuis toujours, les opposants à l’IVG sont nombreux et leurs méthodes de plus en plus inventives. Que ce soit en s’opposant directement à l’IVG, ou en passant par une demande de reconnaissance juridique du fœtus, la liste des menaces est longue.
Reconnaissance juridique du fœtus
La reconnaissance juridique du fœtus est un habile cheval de Troie, car qui pourrait humainement s’opposer à reconnaître la souffrance des mères et co-parent.e.s qui perdent un enfant désiré ? Cette souffrance légitime doit être entendue, notamment grâce à un soutien psychologique. Mais petit à petit, en donnant un statut juridique au fœtus, les opposants à l’IVG grignotent ainsi du terrain par rapport aux droits des femmes. Si le foetus est reconnu juridiquement, il sera en effet plus facile de dire que l’IVG est “un meurtre”, puisque dès avant la naissance, le fœtus serait techniquement une personne. Dans la foulée de la loi de 2018, une autre loi a été votée, qui a étendu la possibilité d’inscrire un “enfant sans vie” à l’état civil dès 140 jours de conception (une obligation pour les grossesses de plus de 180 jours). Un acte d’enfant né sans vie n’est a priori pas dangereux pour le droit à l’IVG, cependant certains partis redéposent régulièrement des propositions de loi qui visent à soit abaisser le seuil de 140 jours, soit à renforcer la confusion autour de la notion d’une certaine reconnaissance juridique du fœtus.
Ainsi, la dernière proposition du CD&V[1] prévoit d’établir un acte de naissance sui generis plutôt qu’un acte d’enfant né sans vie. Le terme naissance, tandis qu’un fœtus en dessous de 140 jours n’est jamais viable, est une preuve que les chrétiens-démocrates souhaitent que le fœtus soit perçu comme étant un enfant à part entière dans le ventre de la mère.
Protection prénatale ou enfermement des femmes
Une autre proposition de loi[2], cette fois de la NVA, prévoit l’enfermement des femmes enceintes qui seraient en situation de dépendance, ou ayant des problèmes de santé psychique. On parle ici de cas dits “extrêmes”, et le but apparent de la proposition est de protéger à la fois la mère et le “futur enfant”. La NVA entend donc protéger la femme en l’enfermant de force afin qu’elle accouche dans un établissement fermé. Au lieu d’adopter une approche préventive et d’accompagnement, ce parti privilégie une approche répressive afin de contrôler les femmes qui auraient des parcours de vie plus vulnérables. En plus d’être sexiste et de considérer la femme comme incapable de gérer sa grossesse, la proposition de loi ne mentionne jamais la responsabilité du père. Ce texte témoigne aussi d’une méconnaissance clinique du lien mère-enfant et de la complexité de la problématique de la toxicomanie et d’autres parcours de vie. Enfin, il n’est à aucun moment question de l’accès à l’IVG ou à l’interruption médicale de grossesse (IMG) dans ces centres fermés, ce qui revient à priver la femme de choisir de poursuivre sa grossesse ou non. Ainsi, même si l’auteure de la loi indique explicitement que le droit à l’IVG ne serait pas menacé par cette proposition, on ne peut qu’en douter… La NVA étant par ailleurs un des partis détracteurs de la proposition de loi progressiste sur l’IVG.
L’extrême-droite et les propositions contre l’IVG
Alors que des progrès importants marquent les sciences médicales, que les mœurs évoluent, le Vlaams Belang, parti flamand d’extrême-droite, dépose depuis les années 90 (alors sous le nom de Vlaams Blok) les mêmes propositions de loi visant à rétablir l’interdiction générale de l’interruption de grossesse, à publier les noms des personnes qui concourent ou assistent à une IVG, et à limiter l’accès à l’IVG sous prétexte que certaines femmes y ont recours du fait d’un “état d’âme occasionnel ou de conditions psychologiques passagères”. Ce travail parlementaire démontre une volonté sans faille d’interdire l’IVG et donc de porter atteinte à l’autodétermination des femmes.
La pénurie des médecins pratiquant l’IVG
Jusqu’en 2019, l’apprentissage des différentes techniques d’IVG n’était pas inscrit dans les cursus de médecine en Fédération Wallonie-Bruxelles. Avant cette date, seule l’Université Libre de Bruxelles proposait un cours facultatif. Ce manque de formation et de sensibilisation a un impact négatif sur les femmes, puisque les professionnel.le.s de la santé sont confronté.e.s à des situations auxquelles ils et elles ne sont souvent pas préparé.e.s. Cela va même parfois encore plus loin, puisque certains professeurs d’université ont désinformé leurs élèves en exprimant une opinion anti-choix et qui ne reposait pas sur des arguments scientifiques. Il est urgent de généraliser l’apprentissage des techniques de l’IVG, car une pénurie de médecins est un risque évident, ce qui constituerait une menace de fait sur l’accès à l’IVG.
À quand un site officiel qui informe les femmes sur l’IVG en Belgique ?
Depuis 2018, communiquer des informations sur l’IVG en Belgique n’est plus un délit (art. 383 du Code pénal). Cependant aucun site officiel n’existe. Ce manque d’une information centralisée défavorise les femmes, puisqu’elles ne savent pas toujours vers quel organisme se tourner. De plus, cette absence peut également sous-entendre que l’IVG n’est pas réellement acceptée dans les mœurs. Sur le site du SPF Santé publique, les informations sur l’IVG – très limitées – sont rangées sous l’onglet « Début et fin de vie », cela en dit long… La Belgique pourrait d’ailleurs s’inspirer de l’exemple français et créer un site officiel tel que : https://ivg.gouv.fr/
Autres menaces…
Les menaces ne s’arrêtent pas là. Il en existe beaucoup d’autres, dont voici quelques exemples :
- Campagne anti-IVG dans les trams et bus De Lijn et de la STIB[3] en 2016 et 2017
- Manifestations anti-choix près des centres de planning familial pratiquant l’IVG à Gand, Bruxelles et Namur
- Application d’une clause de conscience étendue à l’ensemble d’une institution hospitalière
- Profitant de l’absence de labellisation des acteurs de l’EVRAS dans les écoles, diffusion des contrevérités du Groupe CROISSANCE dans les écoles secondaires (par exemple : la masturbation rendrait impuissant…)
- Entraves à la délivrance de la contraception d’urgence : alors que dans la pratique les centres de planning familial (CPF) délivraient cette contraception, une loi de 1967 donnait ce monopole aux pharmaciens et aux médecins. L’existence de la loi a été rappelée par la Ministre de la santé Maggie de Block en 2017 qui a exigé que les CPF s’y conforment, les empêchant de délivrer la pilule du lendemain.
- Et au niveau européen, un groupe influent de chrétiens extrémistes tentent d’interdire l’IVG via la mise en œuvre d’un “Agenda Europe : Restoring the natural order”[4]
Conclusion
Malgré de nombreuses manifestations de la société civile et des arguments étayés et fondés de la part de professionnel.le.s de la santé, le blocage politique inédit de l’automne 2019 est venu faire échec au droit de toutes les femmes d’accéder à l’IVG en Belgique. On le sait, les jeunes se détournent de plus en plus de la politique, voire ne font plus confiance aux politicien.ne.s ; on peut malheureusement supposer que ces jeux politiques ne feront que renforcer leur méfiance. Tandis qu’une loi était à portée de vote avec une large majorité à la Chambre, ils ont été empêchés de voter, ce qui démontre l’opiniâtreté des opposants à l’IVG, CD&V en tête, avec la NVA et le Vlaams Belang. Résultat : les inégalités demeurent et sont même renforcées. Les femmes à l’aise financièrement peuvent se permettre de voyager aux Pays-Bas, tandis que les autres doivent subir une grossesse non désirée à cause d’un délai trop court.
Les menaces autour du droit à l’IVG sont donc nombreuses et parfois discrètes. Pourtant, la question n’est pas d’être pour ou contre l’IVG, mais bien de laisser aux femmes la liberté de choisir si elles veulent être mère, quand et avec qui. Elles ont le droit de recevoir toutes les informations nécessaires et un accompagnement si elles estiment en avoir besoin. Avec ou sans interdiction de l’IVG, les femmes avortent et avorteront toujours : la responsabilité de l’Etat est de leur donner un cadre sûr et légal. Rappelons que, au-delà de tous ces débats politiques et idéologiques, ce sont les femmes qui sont les premières victimes des obstacles à l’IVG : obliger une femme à mener une grossesse non désirée à terme constitue une forme de violence pour elle.
Justine Bolssens et Diane Gardiol
Commission Jeunes du CFFB
[1] https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/0934/55K0934001.pdf
[2] https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/1029/55K1029001.pdf).
[3] https://www.uyttendaele.brussels/une-association-anti-avortement-fait-sa-publicite-dans-le-reseau-stib-julien-uyttendaele-sinsurge/