En effet, dans l’accord de gouvernement fédéral comme dans votre exposé du 13 novembre 2014, vous indiquez : « Une nouvelle législation sera élaborée sur la question du nom et de l’enregistrement des enfants mort-nés. Concernant l’enregistrement, cette nouvelle législation tiendra compte des évolutions en néonatalogie où la limite de viabilité se situe plus bas que celle appliquée dans le code civil. Il deviendra également possible de donner à cet enfant un nom de famille en plus d’un prénom, sans que cela produise un autre effet juridique. »
D’une part, en ce qui concerne les progrès de la néonatalogie, tous les néo-natologues s’accordent à dire qu’à 140 jours de grossesse aucun fœtus n’est viable. D’autre part, les propositions en discussion envisagent bien, et de manière quasi-systématique, des effets juridiques nouveaux, en particulier l’octroi de nouveaux droits liés à l’inscription de la fausse-couche. Concrètement, sont en discussion, l’obtention d’une prime de naissance, d’un congé de maternité ainsi qu’une prise en charge fiscale de l’enfant dans le ménage.
Outre que ces droits nouveaux sont en contradiction avec votre projet, nous souhaitons insister sur le fait que sur le plan strictement juridique, le nom de famille est bien une conséquence de la filiation. Or la filiation ne peut se produire qu’entre
deux sujets de droit dotés la personnalité juridique.
Concernant l’inscription facultative à l’état civil, il importe de rappeler que les actes de l’état civil sont des actes authentiques destinés à fournir une preuve certaine de l’état d’une personne. Ils sont dressés par des fonctionnaires publics et inscrits dans des registres publics. Dès lors,une inscription facultative dans un registre de l’état civil ne nous semble juridiquement pas possible.
Par ailleurs, d’un point de vue psychologique, cette faculté offerte aux parents pourrait générer de la culpabilité ou le sentiment d’être « mauvais parents » en cas de non inscription ou de non reconnaissance de ce fœtus qu’on a laissé « partir » volontairement.
Enfin, lorsque vous indiquez qu’en raison du fait que la personnalité juridique suppose un être vivant et viable les propositions de loi ne risquent pas d’empiéter sur la loi dépénalisant partiellement l’interruption volontaire de grossesse ou l’interruption médicale de grossesse, nous vous demandons de bien vouloir prendre en compte les éléments suivants :
1. La théorie de la personnalité juridique est une théorie doctrinale qui requiert effectivement les deux conditions mentionnées (un être vivant et viable). Or, si un embryon n’est effectivement jamais viable, pour un fœtus par
contre, il existe une zone grise entre 24 et 26 semaines de grossesse quine permet pas aux médecins de certifier si le fœtus sera viable ou non. Cette limite n’est pas figée et peut varier en fonction du poids et de l’état de santé générale du fœtus (infections,..). En cas d’interruption médicale de grossesse par exemple, un fœtus peut naître vivant à 25 semaines de grossesse et vivre quelques minutes et ensuite décéder. Il s’avère donc que la notion même de viabilité est relative puisqu’incertaine. Si l’on pousse le raisonnement, le risque est donc réel, si l’on dote des fœtus d’un statut de personne, qu’in fine il ne soit plus possible de procéder à une IMG, puisque malgré l’espérance de vie limitée à quelques minutes sinon quelques secondes, le foetus sera né vivant et dit «viable ».
Au-delà de ces considérations juridiques, une analyse positiviste du droit qu’en font les députés nous semble étriquée. Elle fait fi des éléments historiques à l’origine de cet enregistrement comme du contexte européen actuel.
Historiquement, en 1806, l’enregistrement des enfants sans vie à l’état civil se justifiait pour des raisons de salubrité publique (nécessité d’avoir un document de l’état civil pour procéder à l’inhumation). A l’échelon européen, la reconnaissance des fœtus est utilisée par des gouvernements ultra-conservateurs pour faire échec à l’accès à l’avortement, qui est pourtant un standard de santé reconnu par l’OMS. En Hongrie par exemple, la nouvelle Constitution de 2012 a reconnu le statut de personne à l’embryon. Depuis, malgré une loi permettant l’IVG,il est devenu quasiment impossible pour les femmes hongroises d’avorter dans leur pays. Plus généralement vous n’ignorez pas les multiples pressions exercées au quotidien contre l’accès à l’avortement, le libre-choix à disposer de son corps et la liberté de la recherche scientifique. Partout en Europe, sans évoquer la Pologne, Malte, Chypre et l’Irlande qui interdisent ou restreignent encore drastiquement l’IVG, les droits sexuels des femmes sont remis en question par des positions, qu’elles proviennent de gouvernements conservateurs ou de groupes chrétiens extrémistes.
En tant qu’association coupole des organisations de femmes francophones, nous nous inquiétons de la tournure prise par ce dossier qui, alors qu’il parle d’atténuer la souffrance des personnes qui perdent une grossesse prématurément, se concentre sur une reconnaissance juridique du fœtus. En conséquence, nous regrettons qu’aucune mesure d’accompagnement psychologique ne soit envisagée dans les propositions de loi, comme aucune harmonisation des protocoles et des bonnes pratiques déjà d’application au sein de certains hôpitaux et maternités. Un remboursement INAMI des prestations liées au deuil périnatal serait pourtant le bienvenu pour les patientes ainsi qu’une meilleure prise en charge des frais liés à ces prestations pour le personnel médical et les hôpitaux.
Enfin, nous nous posons la question du coût des droits nouveaux envisagés par ces propositions de loi. Abaisser le seuil d’enregistrement aura un impact financier sur l’ONSS, alors qu’il nous semble que rien ne soit imputé au budget 2016 à ce sujet. Selon les données fournies dans le rapport du Centre d’épidémiologie périnatale, le taux de mortinatalité concernant tous les mort-nés qui ont atteint un âge gestationnel de 22 semaines ou un poids de naissance de 500g est de 5,6 pour 1000 naissances sur la période 2008-2012. (1) Ce taux atteint 8,8 pour 1000 naissances à Bruxelles, sans doute en raison du caractère universitaire de nombreuses maternités bruxelloises et des spécificités de leur patientèle.(2)
Selon le Conseil des Femmes Francophones de Belgique, ce dossier doit s’analyser sur le plan de la santé publique et non du code civil. Une proposition de loi dans le cadre de la Santé permettrait en effet :
– La mise en place dans l’ensemble des hôpitaux de protocoles spécifiques visant une prise en charge adéquate des parents confrontés à un deuil périnatal après 14 semaines d’aménorrhée, en permettant entre autres aux parents qui le souhaitent de recourir à des consultations de longue durée après l’accouchement et après 4 à 6 semaines
avec un obstétricien qualifié en sus d’une aide psychologique.
– La possibilité pour les parents confrontés à un deuil périnatal d’obtenir un remboursement forfaitaire de cette prise en charge psycho-médicale.
– La fixation de critères d’admission au remboursement de soins psychologiques individuels.
– Une valorisation des prestations effectuées dans le cadre de cette prise en charge par les différents prestataires de soins en créant un code de nomenclature spécifique relatif notamment aux consultations postnatales de longue durée effectuées dans le cadre d’un deuil périnatal.
En vous remerciant, de l’attention que vous voudrez bien porter à la présente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre considération.
Viviane TEITELBAUM
Présidente
(1) Données périnatales en Wallonie – Années 2008-2012, Centre d’épidémiologie périnatale, Ch. Leroy, V. Van Leeuw, A-F. Minsart et Y.Englert, 2014, p. 63.
(2) Données périnatales en Région bruxelloise – Années 2008-2012, Centre d’épidémiologie périnatale, Ch. Leroy, V. Van Leeuw, A-F.Minsart et Y. Englert, 2014, p. 62.