7 juillet 2020
Gommage au marc de café, lessive maison, légumes de saison, courses en vrac et chasse au plastique : ce sont majoritairement les femmes qui sont de plus en plus nombreuses à amorcer une transition écologique au sein de leur foyer. La tâche, bien que souvent mise en place de manière progressive, est loin d’être simple car elle consiste à traquer la moindre habitude de son ménage, afin de la déconstruire et de la rendre plus « verte ».
Pour beaucoup, la question de l’effort individuel pour une consommation plus respectueuse de l’environnement va de soi : l’intérêt collectif doit primer et il est temps d’arrêter de foncer droit dans le mur, à la fois pour l’avenir de la planète et pour celui des générations présentes et futures. La cause féministe peut par ailleurs être compatible avec l’écologiste car elles sont liées ; la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes est entravée par les désastres écologiques qui ont déjà lieu.
Là où le bât blesse, c’est qu’au sein des foyers, ce sont presque toujours les femmes qui prennent en charge la majorité des tâches (en Belgique, les femmes consacrent en moyenne 11 heures de plus par semaine que les hommes au travail ménager). De surcroit, ce sont – pour la majorité – les femmes qui font s’amorcer les aménagements écolos au sein de leur famille et qui donc, prennent ceux-ci en main. L’avènement de la société de consommation avait réussi à alléger le temps de travail domestique des femmes, mais ça n’est pas pour autant que les hommes se sont davantage investis dans celui-ci. Le résultat est que celles-ci consacrent encore davantage de temps au travail invisible[1], passant parfois la journée du dimanche en cuisine afin de préparer tous les repas de la semaine, le tout bio et local, récoltant les quatre misérables radis du potager urbain ou encore assemblant diverses mixtures à base de bicarbonate et de savon de Marseille pour les pastilles de lave-vaisselle homemade.
Certains peuvent donc voir en ce mouvement prônant le fait-maison, une véritable régression face aux avancées de la condition féminine de ces dernières décennies. Ne l’oublions pas, les produits d’entretien tout faits, l’électro-ménager et les petits plats industriels furent des progrès capitaux, qui ont permis aux femmes de faciliter, voire même de se décharger d’une partie des tâches ménagères qui leur incombaient alors. Ce « retour en arrière » non seulement conscient, mais aussi revendiqué ne se fait cependant pas à n’importe quel prix : il faudrait troquer la « facilité » contre du temps et de l’énergie, pour le bien de la planète.
Qu’est-ce que l’écoféminsme ?
Aujourd’hui, beaucoup de femmes se voient ainsi métamorphosées en ménagère modèle ; il est certain que les féministes des années soixante ne verraient pas cette « régression » d’un très bon œil. Pourtant, la problématique du lien entre écologie et féminisme ne date pas d’hier. Celle-ci s’incarne dans le courant de l’écoféminisme, dont les prémices apparaissent aux États-Unis, dès 1962; à l’époque, il ne met déjà pas d’accord toutes les féministes entre elles. Ce mouvement émerge notamment du contexte de l’époque, en réaction aux politiques agressives et destructrices de l’environnement, ainsi qu’à la possibilité d’une guerre nucléaire semblant pouvoir éclater à n’importe quel moment. Ainsi, l’écoféminisme part du postulat que certaines causes sont communes, à la fois à l’oppression des femmes et à la destruction de la nature : le capitalisme et le patriarcat. Par conséquent, les revendications féministes et écologistes peuvent – et même devraient – converger. Il s’agit en réalité aussi, pour les écoféministes, de se ré-approprier ce lien, cette étiquette collée, entre femme et nature, en plaçant donc les femmes comme actrices prépondérantes de la lutte écologiste. Ce lien n’est pas absurde, sachant que les femmes sont davantage touchées que les hommes par les conséquences du réchauffement climatique. En effet, elles ont 14 fois plus de risque de mourir lors d’une catastrophe naturelle ; cela est dû au fait que quand la catastrophe survient, elles ont souvent plusieurs personnes à leur charge, moins de solutions de replis et moins d’accès à l’information. En outre, en Afrique subsaharienne et en Asie, 80% de la production alimentaire repose sur un modèle où les femmes prennent en charge la culture des denrées consommées par l’ensemble du foyer. Les sécheresses provoquent d’immenses dégâts sur l’agriculture, mais demandent également de parcourir encore plus de kilomètres pour trouver de l’eau ou du bois.
Essentialisme v.s. Constructivisme
Si l’écoféminisme se voit régulièrement critiqué depuis sa théorisation, c’est notamment pour sa vision essentialiste. Ainsi, il existerait une relation étroite entre les femmes et la nature. Les hommes et les femmes seraient donc fondamentalement différents étant donné que les hommes ne possèderaient pas cet attribut. L’essentialisme se place en totale opposition au constructivisme, encore appelé constructionnisme, qui postule que les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes sont construits et non pas innés. Ce courant est incarné par la célèbre citation de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas femme, on le devient ». L’écoféminisme vit aujourd’hui un nouvel essor et semble plus cohérent que jamais en 2020, à l’heure où l’on prône vivement la convergence des luttes[2]. Néanmoins, certaines femmes éprouvent tout de même un certain malaise ; lorsqu’elles militent pour l’une des deux causes, elles ont le sentiment que cela se fait au détriment de l’autre.
Selon un sondage Pew Research, les femmes dans le monde seraient globalement plus préoccupées par les questions environnementales et considèreraient davantage que les hommes que le réchauffement climatique constitue un « sérieux problème ». Elles sont également plus nombreuses à réduire leur consommation de viande ou à devenir végétariennes.
On peut donc légitimement se poser la question de pourquoi ce sont les femmes qui s’impliquent majoritairement dans l’écologisme ? Les femmes ne possèdent pas un ADN plus écolo. Elles sont surtout élevées et encouragées, depuis leur plus jeune âge, à se montrer plus douces, attentionnées et à prendre soin d’elle et des autres, mais aussi de l’environnement. Ceci explique en partie également, pourquoi les femmes se sentent plus responsables de ces questions, tandis que la gent masculine les considèrent moins comme des priorités.
Une étude américaine a également montré que de nombreux hommes se refusent à adopter certains comportements écolos (comme amener son sac en tissu pour aller faire les courses) car ceux-ci sont vus comme « trop féminins ». On observe le même phénomène concernant la viande : celle-ci est souvent associée à la masculinité et pour certains hommes, y renoncer équivaudrait à abandonner un peu de leur virilité.
La nouvelle charge mentale
L’écologie serait donc vue comme un « truc de femme », alors que les conséquences du changement climatique et de la destruction des milieux naturels est définitivement l’affaire de tous; Résultat? Les actes écolos individuels sont devenus la nouvelle charge mentale des femmes.
Sur le compte Instagram « Troisième journée », les femmes témoignent de leur culpabilité écologique et de leur prise en charge de cette problématique:
« Mon compagnon ne pense à rien, je me charge de tout. Il ne cesse de me dire que je dois lui dire quoi faire sauf que c’est justement ça qui m’use »
« Il est fier de dire que nous essayons de limiter nos déchets, mais lorsque je l’envoie avec des tups à la boucherie, il revient avec des emballages parce qu’il a oublié de les donner au boucher »
« Selon lui, ma lessive au savon de Marseille pue et ne lave pas parce qu’elle n’a pas d’odeur à la sortie de la machine. Il achète des pots de lessive cracra en douce et s’arrange pour l’utiliser quand je ne suis pas là »
« En tant que féministe qui tente de réduire ses déchets, je suis constamment tiraillée entre le besoin d’agir pour la planète et le fait que mes efforts me donnent l’impression d’être la « femme au foyer » modèle ».
« J’ai l’impression d’avoir renoncé à ce qui me facilitait la vie »
Du temps et de l’argent
Tout le monde n’a cependant pas la disponibilité mentale et/ou financière pour s’y consacrer pleinement. Changer de consommation, boycotter et militer sont des privilèges, réservés à une certaine catégorie de la population qui a le temps et les moyens de rechercher toutes ces informations.
Renoncer à toutes les facilités anti-écolos (acheter des produits tout faits ou industriels, des contenants et des couches jetables, voyager en avion, consommer de la viande tous les jours), c’est aussi renoncer à des privilèges. C’est consacrer du temps à la société de demain, mais moins de temps pour soi. C’est encore une fois demander aux femmes de renoncer à leur intérêt personnel, pour préférer celui du collectif : les générations présentes et futures et le bien de la planète. L’urgence écologique est donc in fine bien plus qu’une charge mentale[3]; elle est aussi une charge morale.
Comment concilier les deux ?
Alors, que faire ? Abandonner la lutte écologiste au profit de la féministe, afin de préserver sa santé mentale et se sentir cohérente ? Peut-être. Ou du moins, en partie. Il faut dans tous les cas cesser d’exclure les femmes des processus de décisions politiques et des plus grosses activités économiques ; car soyons honnêtes, fabriquer son déodorant soi-même n’est rien à côté de ce que les entreprises les plus polluantes et les États pourraient faire à plus grande échelle. Il convient donc de se ménager et de relativiser. Si on a la disponibilité mentale et matérielle pour le faire, c’est très bien. Mais dans le cas contraire, il faut se donner le temps nécessaire et ne pas culpabiliser. De plus, d’autres alternatives existent désormais et les grandes surfaces, par exemple, proposent de plus en plus de produits (alimentaires ou ménagers) aux compositions les plus naturelles et restreintes possibles, des alternatives locales ou végétariennes à prix abordables, ou encore repensent leurs emballages.
Une possible solution réside en partie dans la sensibilisation et l’éducation. Il est, dans tous les cas, impératif qu’une partie plus significative de citoyens, d’entreprises et de personnalités politiques se sente responsable et prenne conscience des changements à amorcer et des efforts collectifs à fournir, afin que les charges mentales et morales soient mieux réparties.
L’écologie du quotidien ne doit pas – et ne doit plus – être uniquement l’affaire des femmes.
Clémence Merveille
Commission Jeunes CFFB
Les 4 images proviennent du compte Instagram « Troisième journée » et sont reproduites avec autorisation.
Lexique
Travail invisible: il désigne le travail qui n’est pas officiellement reconnu. Il n’est pas question ici de travail non déclaré, mais de celui qui n’est pas considéré comme tel et n’est donc pas comptabilisé dans la création des richesses d’un pays (notamment dans le calcul du PIB). Par exemple: le travail des femmes dans leur foyer ou dans l’entreprise de leur mari, le travail des parents s’occupant de leurs enfants ou encore les enfants de commerçant dépannant leurs parents.
Charge mentale: Charge cognitive que représente le fait de gérer le foyer et le travail. Dans la plupart des couples hétérosexuels, cette charge repose principalement sur les femmes.
Convergence des luttes: La convergence des luttes est une démarche militante, qui tend à faire converger dans un mouvement social commun des luttes différentes.
Sources / Pour aller plus loin
Podcasts:
« Ecoféminisme et convergence des militantismes », Ovaires bookées
« Ethique et éconféminisme », Ethique en pandémie
« Qu’est-ce que l’écoféminisme? », Maintenant vous savez
« Emilie Hache: écologie politique et écoféminisme », Présages
« Ecoféminisme », Un podcast à soi – Arte Radio
« Nourrir son homme – Le bon steak et le joli morceau », Les couilles sur la table
Vidéos:
« Sauver la planète, c’est féminin? », Arte.TV
« J’en ai marre d’être écolo », Coline, sur Youtube
« C’est quoi l’écoféminisme? », Ophélie – Ta Mère Nature, sur Youtube
« Féminisme et antispécisme, deux causes reliées », La Petite Okara, sur Youtube
Lectures:
« Surmortalité, mariages forcés, déscolarisation… Les femmes sont les premières victimes du réchauffement climatique », Marina Fabre, novethic.fr
« De plus en plus de jeunes belges optent pour une alimentation végétarienne », metro.be
« Prendre soin: un job de femmes? », Marie-Anaïs Simon, femmesplurielles.be
« Ménage écolo: toujours plus de charge mentale pour les femmes », Elisabeth Debourse, elle.be
« Transition écologique: les femmes moteur du changement », Maud Destray, l’avenir.net
« L’écologie, ce truc de fille: quand sauver le monde n’est pas assez viril », Clément Fournier, youmatter.world
« L’écologie du quotidien est une charge mentale pour les femmes, selon Emma », Clémence, rockiemag.com
« Ecologie et féminisme, la charge mentale environnementale pèse sur les femmes », Alice Huot, ladn.eu
« L’écogeste: une charge mentale pour les femmes », Céline Teret, journalessentiel.be
« Comment l’impératif écologique aliène les femmes », Nora Bouazzouni, slate.fr
« Le féminisme intersectionnel, c’est quoi? », lesglorieuses.fr
« L’écoféminisme et la revalorisation du care pour changer le monde », Jehanne Bergé, RTBF.be
Comptes Instagram:
« Troisième journée »
« Taspenséà »
« emma_clit »
« mellebene »
« la.petite.okara »
« coline »
[1] C.f. Lexique pour une définition
[2] C.f. Lexique pour une définition.
[3] C.f. Lexique pour une définition.