Poil : Je t’aime – My body, my poil !

18 août 2020

Les poils… Traqués, pourchassés, éliminés, et même parfois complètement éradiqués, les femmes ont souvent l’habitude de leur mener la vie dure. Pourquoi ces poils sont-ils devenus tellement indésirables aujourd’hui ?

 Une brève histoire des poils et de l’épilation par France culture[1], publiée en avril dernier, nous rappelle qu’il n’en a pas toujours été ainsi.

Durant l’Antiquité, hommes et femmes s’épilent. Même Jules César, grand mâle conquérant et viril s’y adonne ! C’est à la Renaissance, au 16ème siècle, que la barbe et la moustache des hommes sont considérées comme des signes de virilité, tandis que la femme se doit d’être délicate et de pourchasser les poils sur son menton, au-dessus de ses lèvres, et même ceux de ses tempes. A contrario, les femmes de cette époque utilisent les poils sous leurs aisselles et sur leur pubis comme des atouts de séduction…

Au 19ème siècle, la société veut désormais que les actrices, danseuses et prostituées s’épilent. Mais, joie, à cette époque toutes les autres femmes peuvent laisser pousser librement les poils de leurs jambes et sous leurs aisselles.

La mode évolue, et les normes aussi : au 20ème siècle les robes raccourcissent, les jambes se montrent, et là c’est le drame. Il faut que toutes les femmes s’épilent ! Depuis lors, l’injonction à l’épilation est profondément ancrée dans notre société. Les poils sont « moches », les poils sont « sales », mais seulement sur les femmes. On entend aussi que « c’est une question d’hygiène », sans qu’aucune étude scientifique n’ait prouvé que les femmes aient besoin d’une épilation tandis que les hommes non. Bref, des stéréotypes de genre sans fondement, mais qui demeurent, et rapportent gros.

Une étude parue en 2013 par la marque Escentual[2] a démontré que nos voisines du Royaume-Uni passaient 72 jours, soit environ 1728 heures, de leur vie à se raser les jambes. Imaginez tout ce qu’on pourrait faire d’autre en 2 mois et demi ! Commencer à apprendre une nouvelle langue, voyager, lire, bricoler, la liste est infinie.

Afin d’explorer plus en profondeur cette thématique du poil, la commission jeunes du CFFB a rencontré Charlotte et Margot du collectif « Le Sens du Poil »[3] pour leur poser toutes nos questions, et inutile de vous dire que… on s’est bien poilées !

Pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore, pourriez-vous, en quelques mots, vous présenter ainsi que votre projet?

Charlotte – Le collectif du Sens du Poil est un groupe de 5 personnes qui suivait le master animation socio-culturelle et éducation permanente à l’IHECS, une école de communication à Bruxelles. En dernière année, on nous a demandé de faire un mémoire médiatique sur un sujet qui nous tenait à cœur, et les consignes étaient très larges. Il fallait que ce soit un sujet de préférence engagé, mais qui soit aussi médiatique. Nous avons décidé de nous focaliser sur le féminisme, et plus particulièrement les stéréotypes de genre, en l’occurrence ici sur la thématique des poils. Nous trouvions que ce sujet était suffisamment ciblé pour notre travail, et cela nous permettait de parler de ce que nous souhaitions en termes de féminisme et de stéréotypes autour d’un sujet bien précis. En résumé, « Le Sens du Poil » est une campagne transmédiatique sur la pilosité des personnes qui ne sont pas des hommes cisgenres. Au début nous voulions juste parler de la pilosité des femmes, mais nous avons aussi eu des personnes non-binaires et des personnes transgenres qui nous ont contacté. Nous trouvions cela plus intéressant de toutes les inclure,  car nous partions du principe que c’est en général plus facile pour les hommes cisgenres d’accepter leur pilosité.

Notre campagne se base sur différents  pôles de diffusion :

  • La page Instagram: des photos de personnes qui posent avec leurs poils sont publiées avec un témoignage sur leur rapport à la pilosité et au corps de manière générale ;
  • La Web-série documentaire sur Youtube : il y a 4 épisodes pour l’instant, chacun traitant de la pilosité mais avec une sous-thématique précise (l’adolescence, les poils invisibles, etc.) ;
  • Des évènements : nous en avons organisé quelques-uns, comme par exemple des soirées avec la projection de la web-série et des numéros de chant, théâtre et poésie entre chaque épisode, qui parlent de l’acceptation de soi et de son corps, ainsi qu’une expo-photo. Plusieurs évènements ont été annulés à cause de la crise du virus.

Après le passage devant notre jury, en janvier, le projet était techniquement terminé mais nous avons décidé de continuer à 3. Nous ne savons pas jusqu’à quand nous pourrons continuer, cependant nous estimions que c’était dommage d’abandonner un tel projet. Nous continuons les shootings, et sommes en train de préparer un 5ème épisode de la web-série. Nous cherchons toujours des partenariats et des collaborations afin de continuer à faire vivre le collectif.

Quelles étaient vos autres idées de projets et pourquoi avez-vous choisi ce sujet des poils ?

Margot – À la base, nous nous étions regroupées pour traiter d’un sujet féministe. Bien sûr, c’est très large, et au départ nous avons eu plusieurs idées. On a pensé à la thématique des drag queen et drag king, à l’éducation sexuelle, etc. Puis Alice, une des membres du groupe, a proposé de parler des poils, et c’est quelque chose qui a résonné en nous parce que nous avions toutes des histoires par rapport à notre pilosité. On a alors estimé que c’était un sujet suffisamment précis et révélateur des stéréotypes de genres, des injonctions, des normes, et des doubles standards qui existent entre les hommes et les femmes.

Expliquer qu’on fait son mémoire sur les poils c’est drôle dit comme ça, mais au final nous avons réussi à démontrer que ce n’était pas un sujet léger et marrant, mais que c’était quelque chose de profond et un révélateur du sexisme de notre société.

Il y avait à notre connaissance un seul compte francophone qui parlait spécifiquement de ça, « nospoils ». Deux mois après l’ouverture de notre compte, nospoils a annoncé sa fermeture, et a recommandé à ses abonné.e.s de nous suivre. À part ce compte, il y avait déjà quelques initiatives sur le sujet, comme « Maipoils » au Québec et « Januhairy » au Royaume-Uni, ou encore le photographe anglais Ben Hopper qui avait réalisé une série-photos sur les poils.

Votre compte Instagram a maintenant été créé il y a plus d’un an, est-ce que vous constatez une évolution des mentalités depuis, ou bien est-ce encore trop tôt ?

Charlotte – Pour être totalement honnête, c’est vrai qu’on a de plus en plus d’abonné.e.s, et il y a certainement une tendance « poils », mais je n’ai pas l’impression que les mentalités changent tellement que ça, en tout cas je ne pense pas que c’est nous qui faisons la différence à Bruxelles. Nous recevons beaucoup de messages de personnes qui s’acceptent mieux, qui nous remercient et qui laissent pousser leurs poils. Cela fait plaisir, mais quand on regarde le tableau général je n’ai pas le sentiment qu’on voit davantage de personnes laissant apparaître leurs poils dans les lieux publics.

Heureusement, il n’y a pas tellement de messages de haine sur notre compte Instagram, cela reste très rare. Les femmes sont par contre assez souvent objectifiées et considérées comme des fantasmes. Nous avons beaucoup de commentaires d’hommes plus âgés qui commentent par exemple « très sexy », tandis que ces photos n’ont pas du tout ce but. Nous faisons signer un contrat aux personnes que l’on photographie, dans lequel on essaye de modérer le plus possible le partage des photos sur les réseaux, mais on ne peut contrôler cela que sur nos pages.

Margot – Je suis d’accord avec Charlotte, oui on peut voir un changement des mentalités, mais de niche. Dès qu’un média populaire comme Konbini traite du sujet, il suffit de lire les commentaires pour voir que les mentalités n’ont pas du tout changé.

Charlotte – Cela devient tendance de parler des comptes féministes. Des magazines dits « féminins » viennent vers nous pour demander des interviews, mais cinq pages plus loin il y a un article qui parle de comment faire un rasage idéal !

Margot – Le fait que les médias plus mainstream traitent de sujets comme celui-là nous permet d’avoir une visibilité. Cependant il faudrait qu’ils modèrent les commentaires violents et sexistes sous leurs publications, sinon nous considérons qu’ils veulent simplement faire le buzz, mais sans se soucier du contenu et du bien-être des personnes mises en scène dans les vidéos.

Quels conseils pourriez-vous donner à des femmes qui souhaiteraient ne plus s’épiler et garder leurs poils, mais qui n’osent pas ?

Margot – Avant tout, il faut se préserver soi-même. Si on ne le sent pas, on ne doit pas se forcer à rester avec ses poils, c’est important de faire en fonction de son propre vécu. Si on ne se rase pas, mais qu’on a du mal à supporter le regard des autres, et qu’on demeure dans un état d’alerte constante, cela ne peut pas être bénéfique. Par exemple, personnellement, cela fait un an et demi que je ne touche plus à mes poils, mais il y a encore des situations où je sors avec un t-shirt même s’il fait chaud, juste pour ne pas qu’on voit mes poils sous les aisselles.

Je dirais aussi qu’il faut tenter de le faire par étapes. Laisser pousser les poils juste pour soi, à des zones que personne ne peut voir, c’est déjà beaucoup. Examiner comment nos poils poussent, où et quels poils, mais aussi savoir se regarder dans le miroir avec des poils, car nous ne sommes pas habituées à nous voir avec une pilosité naturelle. Surtout, il faut garder en tête qu’il faut faire attention à soi-même et ne pas se contraindre.

Charlotte – J’ajouterais, pour citer Alice, que les poils c’est comme une coupe de cheveux : on a le choix de les laisser pousser trois mois puis de les colorer, de les couper, ou de les raser. Ce n’est pas parce qu’on fait pousser nos poils que durant toute notre vie on devra les laisser comme ça. Et vice versa, ce n’est pas parce qu’on se rase tous les jours, qu’on continuera toute notre vie à le faire. Il faut vraiment arrêter de culpabiliser.

Margot – Il n’y a pas une seule manière de vivre son féminisme, on ne doit pas penser « moi je suis une féministe parfaite parce que je garde mes poils ». Si à un moment on ne le sent pas, on les enlève et ce n’est pas grave.

Concernant votre projet, qu’est-ce qui est prévu pour la suite, à partir de la rentrée ?

Margot – C’est difficile de prévoir des évènements durant cette période. On va continuer le compte Instagram avec de nouveaux shootings. Le studio dépend de l’IHECS, et on ne sait pas trop comment on va faire quand on ne sera plus officiellement étudiantes. Les impressions photos coûtent aussi très cher. En octobre, on va participer à une exposition à Anderlecht et en partenariat avec « Vulva La Vita », un compte Instagram qui a pour but de démocratiser toutes les formes de vulves. Il y aura une exposition sur les représentations genrées du corps et les alternatives à proposer. En conclusion, on s’inscrit dans ce mouvement avec d’autres associations et on espère pouvoir continuer.

Merci au collectif Le Sens du Poil pour cette interview, qui nous montre bien qu’il n’y a pas de « petits » combats dans le féminisme et que nous devons, tou.te.s ensemble, lutter contre les stéréotypes de genre.

Coline Coeurderoy et Diane Gardiol

Commission Jeunes CFFB


[1] France Culture, À l’origine de l’épilation comme injonction féminine, 24/04/2020, https://www.franceculture.fr/societe/a-lorigine-de-lepilation-comme-injonction-feminine

[2] HuffPost, Average Time Spent Shaving Legs In A Lifetime? 72 Days, New Survey Says, 04/12/2013, https://www.huffpost.com/entry/average-time-spent-shaving-legs_n_3063127

[3] Interview réalisée le 16 juillet 2020