Sabotage contraceptif : un article et une recherche de la commission éthique du CFFB

Une carte blanche de Sylvie Lausberg

Grossesse, contraception, IVG convoquent toujours spontanément les femmes et leur autonomie de décision. Au lendemain des journées mondiales de la contraception et du droit à l’avortement, il est urgent de s’attaquer à ce phénomène qui reste sous les radars malgré nos nombreuses mises en garde : le sabotage contraceptif.

Scientifiquement appelé « coercition à la procréation », le sabotage contraceptif est une forme de violence entre partenaires, non identifiée comme telle, et qui fait pourtant d’énormes dégâts. Sa forme la plus répandue consiste à retirer le condom pendant l’acte, stealthing en anglais :

« Ça s’est passé dans mon dos finalement. On était dans une position ou je n’étais pas capable de le voir. A un moment donné, je me suis tournée, on changeait de position, et je me suis rendu compte qu’il n’avait plus de condom » (Myriam, 28 ans).

« Il n’a pas mis le préservatif »

Autre manière de tromper sa partenaire, faire semblant : « Je suis allée chercher le condom puis j’étais de dos. Je le lui ai donné, je l’ai entendu l’ouvrir, puis il ne l’a pas mis (Samantha,27 ans, citée dans le rapport préliminaire de l’Université du Québec UQAM – « La coercition reproductive : visage méconnu des violences entre partenaires intimes » de Sylvie Lévesque, publié en août 2017).

Aux Etats-Unis, un quart (26,4%) des adolescentes ont déclaré que leur partenaire masculin violent essayait de les mettre enceintes contre leur gré

Il y a aussi le percement ou déchirure préalable du préservatif : « Le préservatif semble se rompre à chaque fois. C’était juste un peu drôle, les 6 premières fois où le préservatif s’est cassé. Six préservatifs, c’est plutôt rare. Je pouvais comprendre 1 mais 6 fois… et puis après ça, quand j’ai commencé à utiliser la contraception, il me disait: si t’es enceinte, tu devras garder mon enfant. » (une jeune fille de 17 ans qui a demandé des injections contraceptives à l’insu de son partenaire et citée dans le rapport Reproductive Coercion: Connecting the Dots Between Partner Violence and Unintended Pregnancy).

Les femmes, seules responsables de leur avortement ?

Les conséquences de la fraude ou du sabotage à la contraception ne se limitent pas à devoir subir une interruption de grossesse, ce qui est déjà en soi une violence : « Aucune femme ne recourt de gaité de cœur à l’avortement !« , selon les mots toujours d’actualité de Simone Veil.

C’est un constat, chez nous comme ailleurs, la femme est considérée comme la seule responsable, ou plutôt irresponsable, en cas d’IVG. Elle ne ferait pas ce qu’il faut pour ne pas tomber enceinte ; nous l’avons encore entendu au Parlement ces derniers mois.

En plus de l’avortement qu’elle doit subir, l’usage de la ruse pour l’obliger à rester arrimée à une relation de couple par l’arrivée d’un enfant est une tromperie qui touche la femme au plus près de son intimité, avec des conséquences terribles pour sa santé jusqu’à mettre sa vie en péril :

Après ça, je suis tombée en grosse dépression, des pensées suicidaires puis tout ça. (Nancy, 24 ans)

Ce n’était pas une méfiance envers les hommes, c’était une méfiance envers le fait d’être en relation avec un homme. (Alice, 23 ans)

Globalement, j’avais honte. Il a beaucoup brisé ma confiance en moi. Puis, je ne me sentais pas bonne dans rien puis… souvent, je me sentais laide puis comme si j’avais toujours un peu honte de tout. Mes notes universitaires ont beaucoup baissé. Je me sentais nulle. Ouais. (Silence) Ça m’a pris du temps à voir la réalité. Puis à me dire « ok, je dois arrêter avec lui, ça n’a pas de sens » (…) Je ne la voyais pas la violence. Je l’ai vue après, particulièrement à partir des séquelles que j’avais. (Vivianne, 29 ans)

Ces mots sont ceux de Québécoises, car les études disponibles proviennent essentiellement du monde anglo-saxon. Les obstétriciens, gynécologues et centres de planification familiale y ont mis en place un protocole de dépistage et le Canada fait également figure de précurseur en ce domaine.

Nous avons travaillé avec l’université du Québec pour établir un protocole similaire au leur afin d’obtenir des données et des recueils de témoignages en Belgique francophone, tant auprès des filles et femmes qu’auprès des professionnel.les de santé.

Un phénomène sous-estimé

En effet, chez nous, le phénomène est largement sous-estimé, même s’il est mentionné quelque fois de manière anecdotique dans les recherches sur les violences envers les femmes ; une forte corrélation existe en effet entre violence de couple, grossesses non désirées et précoces, recours multiples à l’IVG, mais également transmission d’IST/MST, entre autres.

Ce phénomène est repéré dans tous les milieux sociaux et sans catégorie d’âge spécifique. Pourtant, si les adolescentes ne sont pas les seules à subir ce type particulier de violence sexuelle et reproductive, elles en sont plus souvent la cible.

Aux Etats-Unis, un quart (26,4%) des adolescentes ont déclaré que leur partenaire masculin violent essayait de les mettre enceintes contre leur gré. En Belgique, les indicateurs ne laissent aucun doute sur l’augmentation de la violence dans les jeunes couples. Multiforme – verbale, psychologique, physique ou sexuelle – elle vise toujours à exercer un contrôle pour dominer la vie de l’autre et c’est bien de cela qu’il s’agit : s’attacher sa compagne en forçant une grossesse, pour l’obliger à rester liée, au mieux jusqu’à la majorité de l’enfant, au pire jusqu’à la fin de sa vie.

L’imagination de ces agresseurs sous cape n’a pas de limite. Outre le rapport forcé sans protection, certains dissimulent les boites de pilules ou même remplacent les cachets par des placebos qu’ils fabriquent avec du sucre ou de la farine…

Une violence

Il faut réagir maintenant pour révéler et condamner ces pratiques de sabotage de la contraception, une parmi d’autres formes de violences menant à des grossesses forcées, mais qui est moins visible et donc moins reconnue. Cela se comprend : la femme doit d’abord douter de son compagnon, imaginer qu’il est capable de l’abuser, de la tromper en utilisant son corps pour parvenir à ses fins. Cela provoquera inévitablement un séisme dans sa vie affective et personnelle. Bien souvent, cela signifie aussi la fin de la relation, et cette décision est difficile à prendre : « S’il veut un enfant de moi, c’est qu’il m’aime… »

S’il est douloureux et difficile pour les femmes de sortir de ce piège relationnel, la méconnaissance du phénomène par bon nombre de professionnels de santé n’aide pas. Ceux qui ont répondu à notre enquête ont, de bonne foi, reconnu que le sabotage de la contraception était rarement évoqué en cas de grossesse non désirée. Et quand cette cause est identifiée, elle est souvent minimisée car concomitante avec d’autres formes de violence.

Cette forme de violence pourrait être la cause, si l’on se réfère aux études américaines, de près de 15% des demandes d’avortement

Enfin, nous restons tous empreints d’une vision stéréotypée qui fait grand cas des femmes perfides, coupables de faire des « enfants dans le dos », alors qu’on n’imagine pas de tels subterfuges pour rendre sa copine ou sa femme enceinte contre son gré.

En revanche, selon les professionnels de l’accueil et de la santé le refus de contraception féminine imposé par le partenaire est plus facilement repérable, comme le refus d’utilisation de condom ou le chantage affectif :  » si tu n’obéis pas, je te quitte « . Ces pratiques sont inacceptables ; elles doivent être envisagées aussi sur le plan judiciaire comme au Canada en 2014, quand un jugement de la Cour Suprême a conclu que le sabotage contraceptif constitue une agression sexuelle. Les pistes pour agir ne manquent pas.

Le Conseil des Femmes a travaillé pendant deux ans sur ce thème, pour mettre au point une méthode de recherche et prévoir des outils d’information. Nous avons sollicité les pouvoirs publics pour qu’enfin des budgets soient dégagés afin d’objectiver cette forme de violence qui, pourrait être la cause, si l’on se réfère aux études américaines, de près de 15% des demandes d’avortement.

En cette période où notre pays en est encore à cadenasser les débats sur les améliorations du recours à l’IVG, il est plus que temps d’ouvrir les yeux et de soutenir celles qui doivent faire face aux conséquences de cette forme particulièrement infâme de violence sexuelle.

Etude et recherche, publication en cours.

Sylvie Lausberg est présidente du Conseil des Femmes Francophones de Belgique.

Retrouvez cet article paru hier via ce lien sur le site de la RTBF : https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_sabotage-de-la-contraception-une-tromperie-intime-avec-ivg-a-la-cle-une-carte-blanche-de-sylvie-lausberg?id=10595925