
WENDY. La bise d’un passant
Qu’est-ce que vous attendez de la vie ? « La mort ! Pourquoi pas ? »
Wendy, 66 ans, reine des pince-sans-rire. Sur un muret de la Gare centrale, elle regarde passer les voyageurs. « Je fais la manche ici depuis 20 ans. Pour manger. Je touche mais tout part pour mon appartement, qui est insalubre. Ils savent, les gens... » Les gens savent mais ne regardent pas. Un jeune homme s’arrête pour lui faire la bise. « C’est mon amant. » Wendy ricane. L’amant imaginaire s’en va, tout sourire : « ma femme va être jalouse ». Un peu de légèreté, précieux cadeau de ce navetteur. « La vie est belle, non ? Moi, je la prends toujours du bon côté. Même que ça va pas. » Wendy a été mariée, a travaillé, a vu son mari mourir et s’est retrouvée à la rue avec deux enfants. Quelle est sa vie ? Mystère. « Tiens, ça, c’est un simple sac. Vieux, comme moi. Allez, prends ta photo, sinon, je mords. » Elle rit. « Et toi, laisse-moi un peu tranquille avec tes questions. »

FATIHA. Un ami qui lui veut du bien
« Le seul objet qui a de l’importance pour moi, c’est une carte postale que j’ai reçue de mon ami Michel. C’est un homme de 64 ans que j’ai rencontré une nuit, dans la rue. Je croyais qu’il voulait me violer mais il voulait juste savoir si tout allait bien. Depuis deux ans, il me soutient, moralement et financièrement. Qui peut croire que ça existe encore une telle gentillesse ? » Fatiha a fui ses parents, inquiets pour sa santé. « Le médecin parlait d’anorexie. Je ne voulais pas en entendre parler. J’ai préféré vivre dans la rue que d’aller dans un hôpital psychiatrique.
Maintenant, j’ouvre les yeux. C’est dur d’accepter qu’on a un problème. » Fatiha remonte la pente, rêve de retravailler un jour, d’avoir un appartement. Elle regarde le monde avec lenteur. « Avant, je ne voyais rien. Maintenant, je m’assieds une heure sur un banc et j’observe les arbres qui changent, les oiseaux qui chantent. La vie est magnifique.
On apprend beaucoup dans la rue. »

DOROTHEE. Le bébé qui l’a sauvée
« J’ai quitté mes parents tôt. Et ça a été de galère en galère... » à 25 ans, Dorothée préfère ne pas s’étendre sur un passé qui pèse déjà des tonnes. « J’ai touché le fond du fond. Et je me suis dit : il n’y a qu’un enfant qui pourra m’aider à me relever. Père ou pas père. » Elle a tatoué la date de naissance de son bébé sur sa peau. Début d’une seconde vie. « Ma fille m’a sauvée. Aujourd’hui, j’ai quelqu’un pour qui vivre, quelqu’un pour qui avancer, quelqu’un qui compte sur moi et que j’es-saie d’emmener sur le meilleur des chemins. » Grands espoirs, grands efforts. Dorothée fait un vrai travail sur elle-même. « être dans un foyer, c’est une gifle. J’apprends à demander de l’aide, à poser des limites, à m’ouvrir aux autres. » Le futur ? « On a des projets. Je vais commencer une formation en webmaster, avec laquelle j’aurai un avenir. Je ne veux pas rester au chômage et faire croire à ma fille que l’argent tombe du ciel. Ça ne marche pas comme ça... ».

WIDAD. La mode pour tenir le coup
Du khôl sous un regard brillant, une silhouette
de mannequin perché sur talons hauts. Widad,
30 ans, ne passe pas inaperçue. Dans les ves-
tiaires sociaux, elle repère les belles pièces.
« J’adore la mode. Essayer de rester belle, bien
arrangée, ça aide à rester en vie. » Son vœu
le plus cher serait pourtant de « devenir une
femme normale ». Comprenez : une mère qui
peut travailler pour nourrir ses enfants et sortir
sans se cacher. Le rêve est entrain de se réali-
ser... « Je viens d’avoir mes papiers.On va pou-
voir faire un boulot qu’on aime, comme des
gens normaux. » Un jour, Widad le sent, elle
travaillera dans un magasin de vêtements..

ANNICK
«Du moment que je trouve un emploi qui me convient, je me débrouillerai pour réaliser mes rêves.» Annick, 39 ans, n’a aucun caprice. Aucune envie de posséder, aucun fantasme d’ailleurs. Son luxe serait d’avoir un travail. Celui pour lequel elle a repris des études de secrétariat, en néerlandais. Celui pour lequel elle veut se battre, malgré son handicap. La porte vers le monde, l’espoir d’une vie sociale plus riche, hors de l’appartement encombré qu’elle partage avec sa maman. Des amis, des sorties, des voyages plus lointains que le resto du Cœur... Et elle y croit. Dans cette vie un peu étroite, Annick plonge dans les livres, les mangas, les bandes dessinées. Une passion qui la dévore. « En moyenne, je lis trois-quatre heures par jour, quand je vais à l’école. Sinon, jusqu’à six-sept heures ! » Les heures tournent, lentement, quand on est jeune et qu’on a peu de moyens. Dehors, le monde s’agite en tous sens. Et Annick rêve d’être au bureau.

Personnage haut en couleurs, Rachel a une façon de parler comme le vieux Bruxelles n’en fait plus. Dans sa tour de béton, elle n’allume jamais la lumière. Question d’économie. A force, on dirait qu’elle ne sait presque plus qu’elle est pauvre. « J’ai 752 euros en tout, par mois. Pas mal, hein ? Comme je ne dépense pas beaucoup, et bien, j’y arrive. Et je mets encore un peu de côté, pour s’il m’arrive quelque chose. Heureusement, je ne suis pas dépensière. Ça non, il faut bien le dire… » Depuis la mort de sa maman, elle est comme seule au monde. « C’est le week-end qui est dur. Tu n’entends personne, à part cet ascenseur... » Alors, Rachel participe joyeusement aux repas et aux sorties des associations, qui combattent la solitude autant que la précarité. Sur la télé, la dernière photo de sa mère. « Il y a sept ans qu’elle est décédée, mais je ne sais pas l’oublier. Qu’est-ce que tu veux, je suis une fille sentimentale. Mais il faut pas s’en faire pour moi, tu sais. Oh non.»

« Je suis restée dans la rue pendant presque 20 ans. » Nathalie, 38 ans, a connu les squats, les sacs de couchage dans les églises et la vie en communauté de fauchés. « Je suis tombée enceinte entre Belgacom et la Rue de la Poste », dit-elle en riant de ses références de fille des rues. « A l’époque, j’étais toxico et alcoolique. Mon copain m’a dit : tu choisis, c’est l’alcool ou le bébé. On a arrêté toutes nos conneries, du jour au lendemain. Depuis, on se tient droit, pas en zigzag. Il ne nous reste presque rien une fois qu’on a payé nos factures, mais on est bien. Et on se marie la semaine prochaine.» Leur petite fille va à l’école. Un petit frère est né. « Je voudrais bien un troisième, mais financièrement, ce n’est pas possible. » Elle aimerait travailler « dans les emballages. » Et pour le petit Adam, « qu’il soit le plus heureux possible. Et s’il veut être footballer pour ramener de l’argent à sa maman, ça m’arrangerait... Non, allez, il fera ce qu’il veut... » Ouf.
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Dans la presse :
Elle Belgique (novembre 2018)
Le ligueur (janvier 2011)
En marche (novembre 2010)