Réforme du Code pénal sexuel : notre analyse

Le Conseil des femmes Francophones de Belgique et sa commission Ethique ont pu prendre connaissance de l’avant-projet de loi visant à modifier le droit pénal sexuel. Ce texte semble toujours en discussion au sein du gouvernement, mais nous regrettons que ni l’avant-projet de loi ni l’avis du Conseil d’État ne soient accessibles au public alors que l’adoption de cette réforme semblait prévue avant l’été.

Concrètement ce texte traite de la question du consentement, de plusieurs formes d’agressions sexuelles telles que le viol, le voyeurisme, l’inceste et de la prostitution.

Sans accès à ce texte, les citoyen.ne.s ne peuvent que se baser sur les analyses publiées dans la presse. Analyses qui pour certaines sont lapidaires ou nécessite d’être nuancées. La commission Ethique du CFFB s’est penchée sur la réforme et en a analysé les axes plus spécifiquement liés aux droits des femmes et à l’inceste.  En voici une synthèse.

Inceste : des avancées certaines

L’inceste est considéré comme une infraction aggravée dans cette réforme du droit pénal sexuel. Il est cependant incorrect d’affirmer que, pour les mineur.e.s de moins de seize ans, il faudra apporter la preuve de l’absence de consentement. La réforme prévoit au contraire que même pour les mineur.e.s de plus de 16 ans, la loi présume une absence de consentement aux actes à caractère sexuel.

La victime mineure d’inceste ne devra jamais prouver qu’elle n’était pas consentante. En revanche, ce qui nous inquiète davantage c’est qu’entre mineur.e.s de moins de seize ans, les relations sexuelles sont toujours considérées comme des délits ; ils sont considérés comme ne pouvant pas donner leur consentement. Cette dernière disposition renvoie selon nous à une vision puritaine de la sexualité, mais dans le cas de l’inceste renforce la protection.

De plus, il convient de rappeler que les éléments constitutifs de l’infraction — notamment l’absence de consentement — sont appréciés au moment de l’agression. Il est donc incorrect de prétendre qu’une personne majeure, victime d’inceste pendant sa minorité, devrait désormais prouver son absence de consentement lorsqu’elle était mineure. S’il est vrai que le texte de loi n’envisage l’inceste que pour les mineur.e.s, il est incorrect de considérer que l’inceste commis sur des personnes majeures ne pourrait pas être poursuivi. En effet, à l’article suivant la réforme vise spécifiquement les agressions sexuelles dans un contexte intrafamilial, quel que soit l’âge de la victime.

Prise en considération des victimes : peut mieux faire

Il est éminemment regrettable que dans l’exposé des motifs, le législateur fasse grand cas de prétendues fausses déclarations d’agressions sexuelles et de viols, s’appuyant sur ce postulat pour ne pas renverser la charge de la preuve, qui incombera donc toujours aux victimes.

Rappelons que les fausses accusations de viol sont minoritaires et même rares. Le législateur lui-même l’évalue entre 1 et 5% des déclarations ! De plus, le fait que des victimes retirent leur plainte ou reviennent sur leur contenu ne peut être assimilé de manière unilatérale à de fausses accusations, sinon à refuser de prendre en compte les pressions extérieures ou menaces qui sont par ailleurs largement documentées dans la littérature spécialisée. Cette lecture inverse les rôles et puise au réservoir des clichés sexistes. Cet argument est souvent utilisé par les opposants aux droits des femmes. Couler de tels stéréotypes dans le marbre de la loi contribuera à aggraver la mise en doute de la parole des victimes. L’impunité des agressions sexuelles est un véritable fléau dans notre pays. La réforme doit contribuer à lutter contre celle-ci. Le véritable problème est l’application de la loi, pas seulement les manquements de celle-ci. Il est évident que l’on ne tient pas suffisamment compte des victimes, qu’il y a dans notre société une minimisation et une banalisation des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants. Il est urgent de se saisir de cette question pour enfin prendre des mesures drastiques pour que cessent ces violences, alors qu’elles ne font qu’augmenter, comme nous le signalons régulièrement. [2]

Au-delà de la criminalisation, et conformément à la stratégie de prévention des violences recommandée par l’OMS, des programmes de détection précoce des victimes d’inceste et de violence sexuelles doivent être mis en place en Belgique. Pour le moment ce n’est pas le cas et l’État est en défaut de protéger les plus vulnérables de ses citoyens, les enfants !

Prostitution : légitimer l’achat de relations sexuelles contrevient à un projet de société égalitaire    

En ce qui concerne le volet « prostitution » de la réforme, le CFFB réitère sa volonté de lutter contre la prostitution et ses causes, qui constitue en soi une violence sexuelle. Actuellement, l’exploitation de la prostitution d’autrui fait l’objet d’une incrimination pénale en cas de traite des êtres humains, et lorsqu’il s’agit de l’exploitation dite « simple » de la prostitution.

Depuis 1948, la prostitution n’est plus une infraction mais son exercice est rendu difficile.  En effet, la loi sanctionne ceux qui en tirent profit, et d’autre part, réprime la provocation à la débauche c’est-à-dire le racolage actif et les actes de publicité. Le projet de loi actuel veut dépénaliser le racolage et la publicité ; seule l’exploitation de la prostitution serait désormais pénalisée.

Bien que le CFFB comprenne parfaitement la volonté du législateur de vouloir assurer les droits des personnes en situation de prostitution, nous considérons que ce projet de loi ne prend pas réellement en compte ses mécanismes ni ses conséquences. Rappelons que 85% des personnes prostituées sont des femmes, et ce n’est pas le fait du hasard !

Bénéficier d’un contrat de travail peut évidemment concourir à mieux protéger sur le plan social les personnes prostituées, mais cela ne constitue pas un but en soi. De plus, ce nouveau statut doit être clairement balisé : qui peut employer une personne prostituée ? Dans quelles conditions ? Le législateur ne peut pas se contenter d’encadrer si légèrement une pratique qui a de telles répercussions sur le plan personnel, mais aussi sur la société tout entière. L’achat de relations sexuelles, majoritairement auprès de femmes, est indubitablement le produit d’une histoire patriarcale et sexiste, ne l’oublions pas !

Si cet encadrement de la prostitution est voté, il faut impérativement l’assortir de mesures financées afin d’accompagner les personnes qui souhaitent sortir de la prostitution. Le législateur devrait s’inspirer de l’avis de décembre 2020 du bureau du Conseil fédéral de l’égalité des chances entre hommes et femmes sur les droits sociaux des personnes prostituées, dont certains éléments ne figurent ni dans le projet de loi, ni dans l’exposé des motifs :

  • Toutes les personnes inscrites au registre national ont accès aux soins de santé sur une base individuelle, il suffit de s’adresser à une mutuelle. L’aide du CPAS est également possible ;
  • Le statut social des indépendants est accessible quand il n’y a pas de lien de subordination avec un employeur (inscription sous « autres services de soins ») ;
  • Les obligations de l’employeur, s’il y en a un, doivent être strictes et balisées pour prévenir les dérives possibles.

Le CFFB demande :

S’il est effectivement regrettable que les associations de défense des droits des femmes n’aient pas été invitées à partager leur expertise sur ce dossier, nous comptons bien, comme cela nous a été transmis, que ces rencontres soient programmées dès que le débat s’invite au Parlement.

Une réforme de cette envergure, avec des conséquences importantes sur le droit des femmes et des enfants, ne peut être élaborée de manière unilatérale, en ignorant la société civile et les associations représentatives de femmes.

Si tout n’est pas à jeter dans cette réforme dont les intentions sont sans doute louables, le CFFB demande :

  • L’organisation d’auditions au sein du Parlement avec la société civile ;
  • Des moyens financiers et humains suffisants alloués à la détection précoce des violences sexuelles, à la prévention et à la sensibilisation ;
  • De placer les victimes au cœur de la réforme législative ;
  • D’appliquer intégralement la Convention d’Istanbul, ratifiée par la Belgique en 2016 ;
  • De mettre en œuvre sans tarder le PAN 2021-2025 sur les violences basées sur le genre.

 

[1] https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_une-reforme-du-code-penal-pas-sans-nous-disent-les-associations-feministes?id=10790654

[2]  https://www.cffb.be/filles-et-femmes-en-danger-sanctionner-ne-suffit-pas/